L’Inconnue de Birobidjan
cas, on le dépeindra comme un toutou de Nixon et de McCarthy. Wood nâaimerait peut-être pas. Lui aussi doit se faire réélire en novembre, et il a besoin de lâélectorat modéré.
Silence.
â Mmm⦠Sâil refuse, tu auras de quoi mettre ta menace à exécution ?
â Jâaurai. Je mâen suis déjà occupé. Sam⦠Ces types puent lâantisémitisme à plein nez. Ils veulent des espions, surtout des espions juifs. Que cette fille se soit fait passer pour juive, ils vont sâen servir pour raconter les pires horreurs.
â Je vais voir ce quâen pense Wechsler. Je tâappelle demain matin.
Â
Ce soir-là , je passai pas mal de temps à mettre au propre mes notes griffonnées pendant lâaudience. Ãa me donna à réfléchir. Lâhistoire que nous servait cette Russe pouvait être une pure invention. Je devais aussi considérer les choses sous cet angle. Cela faisait partie de mon boulot de ne pas suivre que mon instinct. Se vanter dâavoir couché avec un type comme Staline pouvait être une belle trouvaille. Rien que dây penser, lâidée vous révulsait. Elle-même ne présentait pas ça comme un viol. Pas au sens habituel, en tout cas. En outre, il y avait le faux passeport. Pas nâimporte lequel : fabriqué par lâOSS. Rien que ça ! Et cet agent Apron dont on ne savait rien et quâelle paraissait bien connaître.
En résumé : beaucoup dâombres. Peut-être trop.
Sam Vasberg avait raison. Les plus beaux mensonges sont tissés de vérités. Cohn, Wood et les autres ne le savaient que trop bien. Ils étaient eux-mêmes des experts en mystification.
Je me réconfortai en me répétant quâil était prématuré de tirer des conclusions. Cette femme voulait raconter son histoire. Apparemment, câétait là tout ce quâil lui restait. Mon job consistait à tendre lâoreille.
Jâessayai également de lâimaginer dans sa cellule. Washington ne manquait pas de prisons, mais je nâen connaissais aucune qui donne envie dây séjourner. à quoi pensait-elle ? Comment tenait-elle le coup ?
Avait-elle des amis, des soutiens qui puissent lâaider ? Est-ce que des gens étaient en train de sâinquiéter pour elle ? Maintenant quâelle était en taule, la présence dâun avocat lui aurait été plus quâutile. Wood et McCarthy ne devaient pas être pressés de lui en suggérer un. Et il était probable quâelle nâait pas les moyens de se payer les services dâun type à la hauteur.
Jâespérais que Sam et Wechsler sauraient convaincre Wood de me ménager une petite place aux prochaines audiences. Dans le cas contraire, il me restait une ou deux cartouches. Shirley me ferait une copie de ses notes sténos, et je pourrais peut-être convaincre un avocat de récupérer son dossier avant quâil soit trop tard. Règle numéro un du métier : rentrer par la fenêtre si on vous ferme la porte au nez.
Il me fallut un certain temps pour mâendormir. Shirley avait raison : jâaimais bien me répéter le nom de cette femme. Marina Andreïeva Gousseïev . Des sons qui résonnaient dans le noir comme une énigmatique promesse. Et une femme comme on nâen rencontrait pas souvent dans une vie. Ses yeux bleus non plus. De ça au moins je pouvais être certain.
Vers deux heures du matin, je décidai dâutiliser désormais son prénom, Marina. Dans ma tête et dans mes notes. Elle ne mâétait plus si étrangère que je continue à lâappeler « la Russe ».
Deuxième journée
Washington, 23 juin 1950
147 e audience de la Commission des activités anti-américaines
â Al ?
Il était huit heures trente du matin.
â Lâaudience de la Russe reprendra à quatorze heures cet après-midi. Tu y seras.
â Quelles conditions ?
â On ne sortira pas dâarticle avant la fin des audiences. Et aucun si la Commission juge que les informations obtenues pendant lâaudition mettent en cause la sécurité du pays.
â Wechsler a accepté ça ? Leur embargo est une arnaque neuf fois sur dix ! Ils utilisent ce truc de la sécurité nationale chaque fois
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