L’Inconnue de Birobidjan

qu’ils veulent qu’on la boucle.
    â€” Calme-toi, Al. Si la question doit se poser, on aura le temps d’y réfléchir. Autre chose : Wood considère que tu as des tendances gauchistes excessives. Ça ne l’étonne pas que tu veuilles prendre la défense d’une communiste.
    Je rigolai.
    â€” Ces types ont une conception du socialisme qui restera dans l’Histoire. Donne un dollar à un clochard et tu es déjà suspect de former un kolkhoze !
    â€” Précisément, il demande que tu le traites avec respect. Et même un peu plus.
    â€” Ce qui veut dire ? Je dois lui offrir des fleurs à chaque audience ?
    Sam rit à son tour.
    â€” Littérairement parlant, il y a de ça. Tu as suggéré ce traitement de faveur toi-même, n’est-ce pas ? Wechsler a trouvé que c’était une bonne idée. Wood aussi. Tu l’épargnes. Il est le président de la Commission, il est au-dessus de la mêlée. Il n’est pas aussi radical que Nixon et McCarthy. Il n’a rien contre les Juifs, il se borne à défendre les valeurs américaines… Tu trouveras la suite toi-même.
    â€” OK. Merci, Sam.
    â€” Tu me remercieras quand je te dirai que tu as fait du bon boulot.
    Â 
    Je passai une bonne partie de la matinée à courir les commissariats. Je voulais découvrir dans quelle prison on avait placé Marina. La Commission semblait en avoir fait un secret d’État. Chacun sait que les secrets sont voués à être éventés. Une affaire de bonnes relations et de petits services.
    On l’avait placée dans l’aile des femmes de la vieille prison du comté. Pas un cadeau. L’Old County Jaildatait des années 30. Une grosse masse de brique décrépite et puante qui avait un jour curieusement ressemblé à une église. On avait agrandi le bâtiment à chaque décennie. Rien qui le rende plus humain. En outre, il était hors de la ville, à une heure de route du Sénat. Aucun doute que Cohn avait convaincu le juge d’enfermer Marina loin des curieux.
    J’arrivai en avance dans les couloirs du Sénat. Je me perdis dans les étages avant de dénicher la nouvelle salle d’audience. Shirley y installait son matériel en compagnie d’une collègue. Elle fronça les sourcils en me voyant.
    â€” Tu es sûr que tu as le droit d’être là, Al ? Le sénateur ne m’a pas prévenue.
    â€” Pas d’inquiétude, Beauté. Je suis l’homme invisible.
    Je la rassurai et lui soufflai à l’oreille que notre contrat tenait toujours. Elle aurait son dîner.
    Shirley mourait d’envie d’en apprendre plus. Ce n’était pas le moment. Sa collègue ouvrait grandes ses oreilles. Elle aurait pu capter un message venu du reste de l’univers.
    La salle des huis clos était petite. Le pupitre du procureur, la table du témoin et l’estrade des sénateurs formaient un triangle. La table des sténos occupait le mur derrière le siège du témoin. Profitant de ce que Wood et les autres n’étaient pas encore arrivés, je plaçai une chaise à son extrémité. Là, je pourrais voir Marina de profil. J’espérais qu’on ne m’en délogerait pas.
    Les membres de la Commission entrèrent par la petite porte derrière l’estrade. McCarthy portait un gros dossier sous le bras. Il le fit tomber bruyamment sur la grande table. Il aurait voulu qu’on le remarque qu’il ne s’y serait pas pris autrement.
    La Commission, Wood dans le rôle de président, s’était réduite à trois membres. Deux sénateurs, Mundt et McCarthy, Nixon pour la Chambre des représentants. Ils étaient parvenus à faire le ménage pour se retrouver en petit comité.
    Le choix de Mundt comme troisième larron se comprenait. Malgré ses airs d’intellectuel de grande famille, il semblait avoir une passion pour la chasse aux communistes. Il était assez souvent de mèche avec Nixon. Je l’avais déjà vu à l’œuvre à l’occasion d’autres audiences. Il interrogeait rarement les témoins, mais à l’heure de l’hallali il était toujours là.
    Ils s’affalèrent dans leur fauteuil sans m’adresser un regard. J’avais dit la vérité à