L’Inconnue de Birobidjan
vapeur ont scintillé. Il semblait quâune nuée dâor nous couronnait. Les femmes étaient si émues quâelles se sont signées. à la nuit tombée, avant que le train reparte, les poêles ont rougi comme jamais. La nourriture est sortie des paniers. Ceux qui avaient de la vodka ont débouché les bouteilles. Dans tous les wagons, câétait la fête.
Elle avait ramassé ses jambes contre sa poitrine. Enlaçant ses mollets et sâappuyant des talons contre le rebord de la chaise, elle se balançait doucement, comme une enfant ou comme je lâavais vu faire par des hommes pieux à la synagogue. Son visage avait changé. Lâépuisement gris sâeffaçait. Lââge sâéloignait. Jâaurais pu lâimaginer, assise sur le bord dâun lit, racontant son voyage à des enfants luttant contre le sommeil.
â Câest à Tcheliabinsk que tout a changé. Là , il y avait une douzaine de familles sur le quai. Des enfants, des hommes jeunes ou vieux, des grand-mères tenant les bébés dans des couvertures. Certains sâarrimaient à des bagages fatigués, dâautres à quelques baluchons. Des vêtements différents, des visages différents. Des airs anxieux. De la peur, de la fatigue. Les contrôleurs les ont poussés dans le premier wagon, derrière la locomotive. On entrait dans le ventre de la Sibérie. La glace recouvrait les vitres. Le jour les traversait avec difficulté. Une femme a demandé qui était ces familles. Un homme a répondu : « Des Juifs pour le Birobidjan. » Il a expliqué que des trains arrivaient à Tcheliabinsk depuis la Crimée. Il a dit : « De temps en temps, les Juifs en débarquent. Il paraît que ça chauffe pour eux là -bas, avec les Boches. » Câest comme ça que les choses se sont passées. Que je suis devenue juive avant même dâêtre arrivée à Birobidjan. Pour la première fois je me suis sentie un peu comme eux.
« à Omsk, le convoi a été séparé. Une partie allait tout droit vers Novossibirsk, lâautre descendait vers la Chine et le lac Baïkal. Encore une fois un officier de lâArmée rouge etun politruk ont contrôlé nos passeports intérieurs et nos billets. Ils dirigeaient les voyageurs selon quâils sâarrêtaient à Irkoutsk ou continuaient. Ils ont été étonnés de voir mon billet. Le politruk mâa observée sous toutes les coutures â âToi, tu vas dans le wagon des Juifs du Birobidjan, camarade.â Dans ce wagon, il nây avait que des banquettes de bois et pas de compartiments. Les enfants dormaient sur les sacs ou dans les casiers à bagages. Les bords des fenêtres étaient calfeutrés avec des journaux pour que la suie de la locomotive ne rentre pas. Ils mâont dévisagée. Des regards soucieux, incertains, fatigués. Quâest-ce que je faisais là , moi qui étais seule ? Il a fallu du temps avant quâun vieil homme qui ne parlait quâà peine le russe ose me demander où jâallais. Jâai répondu : âBirobidjan.â Il a souri, tout surpris. Il mâa demandé : â Yid  ?â Un mot yiddish que je nâavais jamais entendu. Jâen ai deviné le sens et ai fait oui de la tête. Oui, jâétais yid moi aussi ! Ils mâont fait de la place. Je nâavais pas beaucoup de bagages. »
Elle eut un rire doux. Elle me regarda pour la première fois depuis quâelle racontait. Dâun coup le bleu de ses yeux se voila de larmes. Elle secoua la tête.
â Ils étaient tous si heureux, si impatients dâarriver au Birobidjan ! Comment auraient-ils pu imaginer ce qui les attendait ?â¦
Le bruit de la porte quâon déverrouillait lâinterrompit. La surveillante apparut.
â Terminé !
Marina se figea une fraction de seconde. En se levant, elle attrapa les anses du sac avant que la surveillante sâen empare.
â Ils croient me punir avec ce farher stupide, dit-elle en me dévisageant. Mais je suis heureuse. Je revis chaque minute. Bientôt, je retrouverai Michael.
La surveillante la poussa vers la porte.
â Câest fini.
Sur le seuil du parloir, Marina se retourna.
â Qui sait ? Meshané mazl ?
Dans mon
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