L’Inconnue de Birobidjan
dos, la porte dâentrée des visiteurs sâétait ouverte sans que je mâen rende compte. Une autre surveillante sây tenait.
â Quâest-ce quâelle raconte ?
â Câest une expression yiddish, dis-je en récupérant mon chapeau. Ãa signifie que la chance va peut-être tourner.
â Yiddish ? Le charabia des Juifs ?
â Je crois bien, oui.
Ãa nâa pas eu lâair de lui plaire.
Â
Lâhomme de la CIA convoqué par Cohn était irlandais. Petit et grassouillet, la quarantaine, un visage de rouquin. Pas du tout le genre dâespion à lâÅuvre dans les films dâHollywood. Une serviette de cuir sous le bras, il pénétra dans la salle dâaudience et fixa Marina avec lâexcitation dâun gosse devant la cage dâun singe. Elle ne lui accorda pas un regard. Pas plus quâelle ne mâen avait accordé un lorsque les flics lâavaient conduite jusquâà son siège. Nul nâaurait pu deviner notre rencontre dans le parloir de lâOld County Jail trois heures plus tôt.
Jâavais à peine eu le temps de passer une heure chez moi afin de noter ce quâelle mâavait raconté avant de rejoindre le Sénat. La femme qui était maintenant devant nous nâavait rien à voir avec la prisonnière épuisée que jâavais tirée de sa cellule. Jâavais envie de croire que ma visite à la prison lâavait requinquée. Elle avait fait son apparition en robe dâété verte, le buste recouvert dâun caraco blanc. Une fois débarrassée de ses menottes, elle avait ôté le caraco, dévoilant ses bras nus et le col de sa robe, si droit quâil offrait à peine une échancrure sur la poitrine. Une robe parfaite pour la circonstance. Sage mais enserrant suffisamment sa taille et sa poitrine pour que ces messieurs de la Commission ne perdent rien de sa sensualité. On aurait cru quâelle lâavait déjà portée cent fois. Elle sâétait aussi maquillée discrètement. Lâombre du mascara soulignait le bleu de ses iris. Ses lèvresavaient perdu cette pâleur crayeuse que je leur avais vue un peu plus tôt.
Shirley sâétait retournée pour mâadresser un clin dâÅil. Elle pouvait être fière de son choix. Jâespérais cependant que Cohn, Wood et la clique de la Commission ne possédaient pas assez de jugeote pour se demander à qui leur témoin devait cette nouvelle apparence.
De toute évidence, câétait le cas. LâIrlandais de la CIA les intéressait davantage que les nouvelles robes de Marina Andreïeva Gousseïev. Dès quâelle fut assise, Wood joua de son marteau. Lâaudition reprit. Plus play-boy que jamais, mèche gominée et costume de chintz gris souris, Cohn salua amicalement son témoin :
â Pouvez-vous donner votre nom et profession à la Commission ?
â Roy Markus OâNeal. Analyste stratégique à la CIA.
â Vous avez conscience que vous déposez sous serment ?
â Oui, monsieur. Dans la limite de ce qui mâest autorisé.
â Cela va de soi. Avez-vous connaissance, de par vos fonctions, dâune région ou dâun Ãtat de lâUnion soviétique dénommé le Birobidjan ?
LâIrlandais tira quelques fiches de sa serviette. Il les consulta en opinant.
â Oui, monsieur, cette région existe. Lâoblast autonome juif de Birobidjan, comme lâappellent les Soviétiques. La capitale sâappelle aussi Birobidjan. Une région à peine plus grande que le Massachusetts. Elle borde le fleuve Amour qui trace la frontière entre lâURSS et la Mandchourie. Non loin de Harbin, la capitale mandchoue. à peu près à trois ou quatre cents kilomètres, selon les routes.
OâNeal adressa un sourire narquois aux membres de la Commission.
â Je suppose que vous nâêtes pas familiarisés avec la géographie de ce coin du globe. On est à moins de cinq cents kilomètres à vol dâoiseau des côtes du Pacifique, huit cents de lâîle japonaise dâHokkaidÅ. Donc très loin de Moscou.Huit ou neuf mille kilomètres. Et ce nâest pas un paradis. Il faut vraiment avoir envie dâaller là . Faut imaginer la taïga sibérienne, les
Weitere Kostenlose Bücher