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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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nourriture. J’ai eu vite fini mon panier. Elles m’ont nourrie comme une enfant. « Mange, mange Marinotchka ! Il faut que tu puisses nous rapporter du bois ! »
    Je souris avec elle par réflexe, jetai un coup d’œil à ma montre. Il nous restait un petit quart d’heure. La gardienne passait et repassait derrière la porte vitrée. Marina n’y prêtait pas attention. Je me décidai à m’asseoir. Elle ne s’en aperçut pas.
    â€” Les questions sont venues. Juste ce qu’il fallait. Elles ont demandé où j’allais et pourquoi. Je n’ai pas dit : « Je vais me cacher au Birobidjan. » J’ai juste dit : « À l’Est, loin de Moscou. » Elles ont hoché la tête. « Tu ne vas pas à Gorki, alors ? – Non, plus loin. – Tu vas à Perm ? – Plus loin encore. » Cette fois, elles savaient. Au-delà, il n’y a que la Sibérie. « Tu as de la famille, là-bas ? » Pourquoi n’ai-je pas dit la vérité ? Peut-être parce que je devinais qu’au mot « juif » elles changeraient d’attitude. J’ai fait un petit mensonge en hochant la tête. C’était presque vrai. Je ne le savais pas encore, mais la grande famille des Juifs m’attendait. Les femmes n’ont pas insisté. Elles croyaient comprendre. Elles imaginaient que j’allais rejoindre un mari, un amant dans l’un des milliers de camps de rééducation . Les camps du Goulag. Tout le monde les connaissait. Quand elles n’avaient pas d’enfants, plus de famille, certaines femmes allaient vivre près du camp où leur homme était prisonnier. Elles s’emprisonnaient elles-mêmes pour vivre encore une forme d’amour.
    Marina ne me parlait pas. Elle murmurait ses souvenirs comme une caresse pour s’apaiser. Il me fallait tendrel’oreille. Peut-être se racontait-elle son histoire ainsi quand elle était seule dans sa cellule. Peut-être que non. Peut-être que tout cela n’était encore qu’un merveilleux artifice théâtral et qu’elle avait besoin d’un public. Pourtant, ça ne changeait rien à sa sincérité. J’aurais aimé que T. C. puisse l’entendre comme je l’entendais. Ça l’aurait rendu moins cynique. Pour la première fois depuis son entrée dans le parloir, j’avais conscience qu’elle était nue sous sa blouse. Comme si ses mots et sa peau suffisaient à la protéger.
    â€” Pendant tout ce temps, j’ai été « Marinotchka, la fille qui allait rejoindre son zek, son homme prisonnier ». À Gorki, beaucoup sont descendues. D’autres, moins nombreuses, sont montées dans le wagon. Celles-ci se rendaient à Perm, de l’autre côté de la Volga, quelques-unes allaient vers Kouïbichev. Dans tous les bourgs où le train s’arrêtait, il en grimpait de nouvelles. Elles s’installaient avec leur cabas, leur odeur de neige, de glace. Le froid devenait plus dur. La chaleur du poêle n’était plus aussi efficace. On gardait nos manteaux durant la nuit. Après il y a eu Kazan, Sverdlovsk. On était partis de Moscou depuis quatre jours. On avait passé les montagnes et on était encore à une demi-journée de Tcheliabinsk quand le train s’est arrêté à cause d’une congère. Il faisait nuit, on ne voyait rien. Au matin, le chef de train a annoncé que la neige recouvrait la voie sur au moins une demi-verste. On nous a donné des pelles, et chacun, femme ou homme, est allé déblayer les rails. La neige était si épaisse que ça a pris toute la journée. Une belle journée très claire et très froide. Nous étions à mi-pente. Au-dessous de la voie la forêt scintillait de givre. Au-dessus, le terrain ondulait, adouci par la neige qui crissait sous nos pelles. Creuser la neige n’était pas fatigant. Rien à voir avec les tranchées de Moscou. Après ces jours passés dans le vacarme et le ballant infernal du train, c’était même un plaisir. Le silence était merveilleux. Les voix ne portaient pas. Notre haleine formait au-dessus de nous un petit nuage glacé, immobile, qui se maintenait dans l’air.Quand le soleil s’est incliné, les milliards de cristaux de

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