L’Inconnue de Birobidjan
supprimer les uns après les autresâ¦
â Mikhoëls est mort ?
Le cri de Marina fit tressaillir lâIrlandais. Elle était debout et lui faisait face. OâNeal la toisa, la bouche méprisante. De toute évidence, il était persuadé que lâactrice lui faisait un numéro. Marina sâapprocha dâun pas, les flics posèrent la main sur son épaule. Elle répéta :
â Mikhoëls est mort ?
Cohn et Wood échangèrent un coup dâÅil.
â Vous pouvez répondre au témoin, monsieur OâNeal, déclara Cohn.
LâIrlandais haussa les épaules.
â Si vous ne le savez pas déjà , Miss, Solomon Mikhoëls est mort à lâautomne 48. Officiellement renversé par un camion en se rendant à la gare de Minsk. Nos sources sont certaines : câétait un crime maquillé. Celui qui lâaccompagnait, un journaliste, Vladimir Golubov, a été tué lui aussi. Dâailleurs, pour ce quâon sait aujourdâhui, tous ceux qui ont participé à ce comité ont été supprimés ou envoyés geler quelque part en Sibérie.
Marina se rassit, livide. Je lâentendis murmurer : « Lioussia ! » Les autres aussi. Il y eut un moment dâembarras chez ces messieurs. La sincérité de son émotion était évidente. Et ils ne pouvaient pas avoir déjà oublié ce quâelle avait raconté, la veille, sur la création houleuse du Comité.
OâNeal eut un petit rictus à lâadresse de McCarthy et de Nixon.
â Pour être franc, ces deux dernières années, Staline a supprimé pas mal de Juifs en vue. Cette histoire du Birobidjan ne les a pas beaucoup protégés, finalement.
â Monsieur OâNeal, intervint McCarthy, êtes-vous au courant dâune mission de lâOSS au Birobidjan pendant la guerre ?
Ce fut amusant de voir le visage de lâIrlandais changer. Son air satisfait sâeffaça. Sa voix se modifia. Il se mit à marquer un temps avant chaque réponse, à peser ses mots.
â Je peux certifier que cela a existé.
â Dans quelle condition ?
â Ma foi, il nây a pas que lâOncle Joe pour avoir de bonnes idées, pas vrai ? Puisquâil entrouvrait les portes avec cette histoire dâimmigration juive et dâaide pour la guerre contre les nazis, il aurait été bête de ne pas en profiter.
â Vous voulez dire, envoyer des agents là -bas ? demanda benoîtement le sénateur Mundt en ouvrant de grands yeux.
LâIrlandais hésita, fit la moue.
â Il sâagissait dâen savoir un peu plus sur le Birobidjan, et surtout sur ce que les Japs trafiquaient de lâautre côté du fleuve Amour, monsieur. On se battait dans le Pacifique, si vous vous rappelez. LâOSS avait obtenu une information sur une usine dâarmes chimiques installée à Harbin, une ville de Mandchourie à deux encablures du Birobidjan. Câétait une bonne base dâapprocheâ¦
Marina avait relevé la tête. Elle écoutait attentivement. La tristesse sâétait effacée de ses yeux. Ce qui y brillait était plus près de la colère.
Wood demanda :
â Lâagent Apron était de ceux-là  ?
OâNeal secoua la tête.
â Je ne suis pas autorisé à vous en dire plus, monsieur. Jâavais prévenu le procureur Cohn à ce sujet.
Il sortit une grosse enveloppe de sa serviette, la montra à Wood.
â Ces documents ne peuvent être lus que par des personnes accréditées.
Du menton il nous désigna, les sténos et moi. Il retrouvait son petit air de type qui en sait plus que tout le monde.
â Jâai lâautorisation de les laisser sous votre responsabilité, monsieur.
McCarthy opinait légèrement à chacune de ses phrases. Je commençais à me demander si ces deux-là nâavaient pasmis au point ensemble ce numéro. Si câétait le cas, ils avaient omis de compter avec Marina Andreïeva Gousseïev. Elle gâcha leur spectacle avec un ricanement. Toisa lâIrlandais avec mépris.
â Vous faites des cachotteries parce que vous ne savez rien. Du Birobidjan, vous ne savez rien non plus. Et Michael nâétait pas seulement un espion. Câétait un vrai médecin.
Weitere Kostenlose Bücher