Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'inquisiteur

L'inquisiteur

Titel: L'inquisiteur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
Vom Netzwerk:
moins qu’on lui tourne le dos ?
    — Salomon d’Ondes est chrétien, Bernard, l’oublies-tu ?
Il est ton frère, désormais. As-tu jamais laissé se perdre l’âme d’un frère, dis-moi ?
Avant d’être baptisé, il n’était qu’un espoir d’homme, mais maintenant le voilà
fils de notre Église, comme nous le sommes, toi et moi. Il viendra à notre
amitié. Il le faut, bon moine. Je lui parlerai, un jour prochain. Es-tu certain
au moins qu’il n’a pas l’intention de quitter Toulouse ?
    — Si Dieu veut, il partira demain matin pour Cordoue, où
il a vécu autrefois. Le rabbin Eliezer lui a donné de l’argent et une vieille
mule infirme, je l’ai vue : elle le portera peut-être jusqu’à la première
auberge, mais guère plus loin. À l’heure qu’il est, il doit boucler ses bagages
dans les gravats de sa maison. Il espérait sauver des décombres quelques livres
et un antique bâton de pèlerin qu’il voulait à toute force retrouver, car il le
tenait, à ce qu’il m’a dit, d’un grand sage aveugle qui fut son maître.
    Jacques s’accouda sur ses genoux, enfouit le visage dans ses
mains et resta ainsi, immobile et silencieux, jusqu’à ce que frère Bernard, rajoutant
une bûche au feu, réveille les braises mourantes dans de grands claquements de
bois et bondissements d’étincelles. Alors Novelli le Jeune releva la tête. Ses
tempes battaient, sa bouche tremblait, et dans ses yeux luisaient des pensées
très sèches et dures.
    — Va chez le viguier chercher un soldat, dit-il. Conduis-le
chez Salomon d’Ondes. Je veux qu’il arrête ce pauvre homme et l’amène à la
prison de l’Écarlate, où j’irai le voir demain matin.
    — Il n’est pas juste de persécuter ce juif, maître
Novelli, répondit frère Bernard Lallemand en contenant à peine des sanglots
dans sa gorge. Voyez, j’ose vous regarder droit pour la première fois de ma vie,
moi, fils de brute épaisse et de mère sans esprit, pour vous dire que vous
faites mal, je le sens.
    — Selon la loi, Salomon est chrétien. Il doit être tenu
pour hérétique, s’il retourne à ses sabbats. Où est ma faute ?
    — Je ne la vois pas mieux que vous. J’ai peur, simplement.
J’ai peur de vous voir tomber au fond de votre intelligence de grand clerc. Votre
science est pure, je le sais, elle est de bonne et belle source. Mais dans l’eau
claire aussi on peut mourir noyé. Ordonnez maintenant ce qu’il vous plaira, je
vous obéirai, car je vous aime assez pour vous servir fidèlement, malgré les
peines que vous me faites.
     
    Frère Bernard trouva Salomon d’Ondes dans une ruine d’écurie,
couché parmi la paille avec la selle de sa mule sous la tête et son maigre
bagage serré contre son flanc.
    — Venez avec moi, lui dit-il doucement. Je vais vous
abriter comme il faut.
    Le juif se dressa, éveillé, à la lueur de la lanterne, comme
si de sa vie il n’avait jamais dormi. Il eut un petit rire pitoyable et demanda :
    — En quelle prison ?
    — L’Écarlate, maître Salomon. Elle n’est pas méchante, et
guère peuplée. Vous n’y resterez pas longtemps.
    L’heure de minuit était proche. Jacques Novelli veillait
encore dans sa chambre éteinte, pensant à Stéphanie et croyant ne penser à rien.

4
    La prison de l’Écarlate était une vaste cave très antique
traversée de galeries dont on ne savait pas, tant elles étaient tortueuses et
basses, encombrées d’eaux noires et de caillasses éboulées, si elles allaient
se perdre dans la nuit de la Terre ou si elles pouvaient encore conduire, par d’innombrables
détours et débris d’escaliers, du palais de l’évêque Gui à la cathédrale Saint-Étienne,
qu’une ruelle séparait. Nul ne s’en serait soucié si quelques bateleurs et
méchantes langues hérétiques ne s’étaient obstinés à chanter au vent des places
de détestables paraboles sur ces bas-fonds et ces hauts lieux. Selon ces gens, les
deux bâtisses épiscopales, jointes indiscutablement par leurs racines, prospéraient
ensemble sur le malheur des persécutés. Quelques rimeurs et mauvais imagiers
avaient même représenté l’évêque Gui grassement assis entre les tours ouvragées
de ses demeures, et tenant le peuple toulousain prisonnier dans les ténèbres
charnues de son fondement. Gui de l’Isle connaissait ces sornettes
moqueuses que l’on colportait sur son compte. En vérité, les traits maladroits
des gravures et les vers mal chevillés des chansons

Weitere Kostenlose Bücher