L'inquisiteur
reconnaisse quand il sortirait de l’office. Il était affamé et grelottait
misérablement : il avait couru toute la nuit hors du grand chemin, dans la
gelée blanche des collines et des traverses forestières, pour informer l’inquisiteur
des événements survenus à Castelsarrasin, où les Pastoureaux campaient depuis
la veille. Novelli, environné de brume sombre, apparut le premier sous la haute
porte voûtée de la chapelle. La tête basse, les mains frileusement enfouies
dans les manches, l’esprit encombré de psaumes et de mauvais rêves, il faillit
passer sans le voir devant le rouquin à la face éclairée. L’autre lui toucha l’épaule.
Jacques sursauta, l’air ahuri, et lui fit signe de le suivre dans la
bibliothèque.
Ils y trouvèrent Stéphanie. Elle s’affairait devant le feu, qui
ronflait déjà avec une vigueur pétillante, illuminant les manuscrits aux
reliures fauves entassés sur la longue table. Novelli lui demanda, sans même la
regarder, d’aller chercher du lait chaud et quelque nourriture solide pour le
voyageur. Stéphanie obéit vivement, et passant près de lui l’effleura de l’épaule,
comme par inadvertance. « Cette effrontée me nargue », pensa-t-il. Il
eut à peine le temps de flairer son parfum, de sentir le vent de ses jupes et d’apercevoir
son talon chaussé de laine rouge dans le sabot : elle avait déjà franchi
la porte de la salle. Mais quand elle revint avec une cruche fumante et une
boule de pain dans un torchon, elle apparut sur le seuil comme une vierge
nourricière sortant de ces ténèbres où se font les rêves de Dieu. Elle s’avança
vers la cheminée, les manches de sa chemise troussées jusqu’aux coudes, bien
droite et lente de peur que le lait ne déborde. Sa figure, dans la lueur du feu,
avait un air de pure offrande, son regard était tout baigné de jour vif, de
beau midi, et Palhat en fut aussi pantois que devant un miracle. Il se signa
presque, le front traversé de rides désordonnées, et se souleva précipitamment
pour la débarrasser. Elle vit son trouble mais n’y prit garde. Elle lui tendit
le pain comme l’eût fait une épouse, avec un naturel poli par longtemps d’amour.
Alors Novelli, qui s’était reculé dans la pénombre pour l’examiner
à son aise, et peut-être se garder d’elle, se sentit tant attiré par ce visage
qu’un vertige le prit et qu’il entendit son cœur dans ses tempes. Il se reprit
aussitôt, pensant : « Elle ne veut pas être sorcière, mais elle l’est. »
Il lui demanda de rester en leur compagnie, car le bonhomme, dit-il en
désignant Palhat qui s’était mis à bâfrer, à grands coups de mauvaises dents, arrivait
de Castelsarrasin avec des nouvelles de son jean-foutre de frère, que Dieu
maudisse.
Elle s’assit sur un tabouret, les mains jointes entre les
genoux, très inquiète soudain, et se pencha vers le rouquin lourdement installé
dans une lente rumination. Alors Novelli se détendit et la contempla avec
affection. À nouveau il la tenait ferme, prise dans un tourment d’amour qui
suspendait en elle toute force, obscurcissait toute pensée. Voilà qu’elle ne
songeait plus à faire la fière, maintenant. Il eut un petit rire sec, et
savoura secrètement une brumeuse volupté de chasseur prêt à caresser, en doux
vainqueur, le poil hérissé de sa proie. Palhat aussi était en son pouvoir
depuis qu’il avait fait libérer sa femme, après quelques semaines de dure
prison, pour délit d’hérésie mineure. Il la lui avait rendue contre la promesse,
solennellement crachée, d’accourir au moindre signe et d’accomplir sans
question toute besogne qui lui serait commandée. Palhat, très épris de sa jeune
épouse, n’avait jamais manqué à sa parole, et manifestait au sauveur de ses
amours, chaque fois qu’il se trouvait en sa présence, un attachement de brute
naïve et roublarde qui inspirait à Novelli une confiance très sûre.
Il éprouvait décidément un étrange bonheur à peser sur les
âmes, à les sentir bien chaudes et palpitantes sous la main. Il avait une si
grande famine de cette amoureuse puissance qu’il rêvait souvent, pour émouvoir
plus sûrement le monde et l’attacher à lui, de vivre un jour dans l’admirable
nudité des saints. Il priait Dieu de lui en donner la force, à ses heures de
grand mépris pour les pouvoirs de l’or et le prestige de ces bouffis de la
noblesse qui se satisfaisaient de régner sur des grimaces, des mensonges
peureux
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