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L'inquisiteur

L'inquisiteur

Titel: L'inquisiteur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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de Vergnes
contempla les clercs, alentour, avec un étonnement rieur mouillé de larmes, puis
fit un pas en avant, comme Novelli quittait la table, et lui dit, le regard
insupportablement complice et reconnaissant :
    — Merci, frère.
    — Je ne suis pas ton frère, foutre non, gronda l’autre,
passant devant lui en grande hâte furieuse.
    Il empoigna son manteau que lui tendait un moine et sortit.
     
    Il s’en fut par la ruelle des Fustiers, parmi les copeaux, les
sciures et les bruits de maillets jusqu’à la place des Salins où la jovialité
bruyante du peuple dans la bousculade du marché l’allégea très bonnement. Du
coup, il se sentit assez de cœur pour aller à nouveau aiguillonner Salomon d’Ondes,
qu’il importait de ne pas laisser seul dans sa Juiverie. La longue rue
Jouzaigues était encombrée de menuisiers occupés à cheviller des étals neufs,
et de maçons qui torchaient les façades de mortier propre et riaient fort quand
ils éclaboussaient de glaise les jupons des jeunes bavardes nonchalantes au
pied des échelles. Novelli vit de loin le grand juif, près d’une vieille
tourelle, au coin d’un carrefour ensoleillé, en conversation avec le rabbin
Eliezer et deux autres infidèles qu’il ne connaissait pas, mais leur vêtement
médiocre et leurs mains agiles devant les bouches les désignaient à l’évidence
comme philosophes. Il en fut contrarié. Sans aucun doute ces diables de lettrés
s’échinaient à mettre Salomon en garde contre la foi chrétienne. Il pressa le
pas en s’efforçant de ne pas les quitter des yeux, au-delà des embarras de son
chemin, pensant avec une grande inquiétude que son homme, sermonné par ces
mauvaises gens, était en danger de perdition. Le rabbin aperçut le premier l’inquisiteur
Novelli, dit quelques mots à l’oreille de Salomon, qui se tourna vers la rue où
il venait et s’empressa aussitôt à sa rencontre, tandis que les deux autres s’éloignaient
en continuant de bavarder passionnément.
    — Vos amis ont-ils si peur de moi ? demanda
Jacques avec un mauvais rire, dès qu’il fut à portée de voix. Vous n’auriez pas
dû les laisser s’enfuir ainsi. Nous aurions pu parler ensemble.
    Il serra sans chaleur les mains du juif et les tint un
moment dans les siennes, regardant au loin, l’air hautain, le rabbin Eliezer
qui les observait, planté au milieu du carrefour.
    — Pardonnez-leur, répondit Salomon, riant aussi. Ils n’aiment
guère fréquenter les gens de votre sorte.
    — Je déteste effrayer, dit Novelli.
    Il secoua la tête comme pour se défaire d’un fardeau, puis, la
relevant :
    — Vous ont-ils dit beaucoup de mal de moi ?
    — Non. Ils m’ont dit du bien de mes pères.
    Ils se mirent en chemin, lentement, vers la boutique, Jacques
rêvant, le front froissé, et Salomon l’observant à la dérobée.
    — Ils s’inquiètent du mal que l’on pourrait me faire, dit-il
enfin. Vous aussi, maître Novelli, vous me semblez chagrin.
    — Laissez cela, il ne convient pas que je vous charge
de mes soucis.
    — Pourquoi ? Si vous voulez que nous soyons frères,
comme vous l’avez dit, vous ne devez pas craindre de vous confier à moi.
    Novelli s’arrêta au milieu de la ruelle, croisa les bras, regarda
le juif avec un sourire finaud et dit :
    — Allons, pauvre homme, croyez-vous vraiment que je
sois assez sot pour me laisser prendre à des pièges aussi grossiers ? Que
feriez-vous de mes chagrins, dites-moi, si je vous les livrais ?
    Salomon soutint son regard, la tête de côté, un éclat de
moquerie discrète dans l’œil, et ne répondit pas. Alors Jacques le prit par le
bras et à nouveau l’entraîna au pas de promenade.
    — Sans doute, dit-il, suis-je parfois sujet à des
exaltations excessives, et je peux bien vous avouer aussi que je supplie Dieu
tous les jours de me faire plus juste et droit que je ne suis, ce qui montre
assez que je m’estime peu. Voyez, je ne ruse pas avec vous. Je connais mes
faiblesses, elles m’obligent à une grande humilité. Cependant, ne me mésestimez
pas, vous vous éviterez bien des peines. Ne comptez pas que je vous abandonne, par
lassitude, à vos amis lettrés, ou que vous parviendrez un jour ou l’autre à me
prendre en défaut, et à vous échapper de ce poing qui vous tient. Et ne vous
obstinez pas à me haïr, c’est inutile. Il est tout à fait vrai que je veux
faire de vous mon frère. Vous le serez. J’ai toujours accompli ce que

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