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L'inquisiteur

L'inquisiteur

Titel: L'inquisiteur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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et des agenouillements prostitués. Il voulait, lui, toucher au fond des
cœurs où gisent les mystères, et ce désir le tenaillait si durement, parfois, qu’il
en souffrait une soif de damné.
    Quand il eut fini de manger, Palhat se tourna vers Novelli
et lui dit que Jean le Hongre et sa troupe avaient, la veille, fait un nouveau
massacre de juifs dans le faubourg de Castelsarrasin. Cependant, s’il avait
couru toute la nuit à s’en rompre le cœur, ce n’était pas pour informer l’inquisiteur
d’un événement aussi prévisible. Le bonhomme vit bien que Novelli attendait des
révélations plus graves. Il but son lait, se pourlécha, jouit un peu du maigre
plaisir de faire macérer son maître. Mais l’autre, à qui ce jeu ne plaisait pas,
lui prit la cruche des mains et lui fit signe, sèchement, de poursuivre. Alors
Palhat, à nouveau humble, dit :
    — À l’heure où j’ai quitté la ville, peu après le
crépuscule, un grand incendie ravageait la Juiverie et les Pastoureaux étaient
enfermés dans l’église où ils tenaient prisonniers le curé et le viguier de
cette pauvre paroisse.
    Il hésita après ces mots, car il avait encore à conter de
grandes choses et désirait émerveiller monseigneur l’inquisiteur, mais ne
savait par où s’aventurer. Novelli, très impatient, cogna du talon sur les
dalles. Palhat s’en effraya, se voûta comme s’il craignait d’être battu. Stéphanie,
voyant son air égaré, lui prit les mains avec de grandes questions dans les
yeux. Alors, tout à coup débondé, il se mit à parler, dans une extravagante
précipitation de bégaiements émus.
     
    Après les meurtres et la conversion hâtive de quelques juifs,
dit-il en tombant à chaque souffle dansdes phrases sans fond, Jean le
Hongre entra dans l’église de Castelsarrasin sur son cheval, au grand galop, en
l’excitant comme s’il avait une armée de diables aux trousses. Mais parvenu aux
marches de l’autel, il freina sa bête d’une poigne si ferme, et flatta si
habilement sa croupe et son encolure qu’elle se laissa tomber à genoux devant
le saint sacrement en remuant la tête comme pour honorer Dieu. Sa troupe salua
ce prodige par des vivats, des chants fanatiques et de tels entrechocs de
piques que les fresques des murailles en furent blessées, et quelques statues
brisées.
    Le prêtre, qui jusqu’alors avait tenté d’apaiser la foule, fut
grandement scandalisé de voir son église ainsi profanée. Il voulut pousser le
cheval dehors, mais ne parvint même pas à l’émouvoir. Beaucoup de grandes
gueules raillèrent son impuissance. Alors il dénoua la corde qui lui ceignait
la taille, la prit bien en main, la fit tournoyer au-dessus de sa tête en
criant des malédictions et se mit à fouetter furieusement la bête agenouillée
qui, aussitôt, se redressa si fort que Jean le Hongre, qui tenait la bride, en
fut renversé parmi ses gens. Cette révolte fut accueillie par une infernale criaillerie
qui affola le grand cheval. D’une ruade, il faillit fracasser le crâne du curé,
et la bousculade, les cliquetis d’armes, les imprécations redoublant, il se
cabra, la crinière hérissée, les naseaux tendus vers la voûte peinte d’étoiles
en battant l’air de ses sabots. Derrière lui, un immense gueulement sortit de
mille bouches. Le souffle de cette clameur, comme une charge de bataille, le
fit hennir terriblement et le poussa en avant. Il bondit sur l’autel, qu’il
renversa, de l’autel dans les stalles nobles, qu’il fracassa, des stalles dans
la foule épouvantée, où il se mit à piétiner des ombres, environné de fumées et
de torches, comme une Bête d’Apocalypse labourant son champ de réprouvés. Alors
Jean le Hongre se fraya un chemin parmi les corps abattus, les mains tendues, les
gueules hurlantes, et vint au-devant de lui, sans crainte de ses sabots ni de
son mufle écumant. Il ouvrit les bras, s’offrant ainsi follement à sa fureur. Mais
à l’instant d’être renversé, il se suspendit à son encolure et le tint embrassé,
la joue serrée contre son oreille. Il le tira vers le portail, aussi fort qu’il
le put, en lui parlant et le cajolant. D’autres alors le poussèrent à coups de
piques et ils parvinrent ainsi à l’amener sur la place où des femmes criaient
et couraient, les mains tendues vers les nuées rouges du crépuscule.
    Dans l’église, tout était brisé, sauf la croix haute plantée
dans le sol, au fin fond de la nef. Des morts gisaient

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