L'inquisiteur
j’avais
résolu. Oubliez donc vos calculs de mauvais stratège, ils ne vous seront d’aucun
secours.
— Dieu seul commande aux destinées, répondit Salomon, le
dos tout à coup voûté. De gré ou de force, monseigneur, je n’obéirai jamais qu’à
Sa volonté.
Comme ils arrivaient devant la boutique, Jacques prit à sa
ceinture son livre de prières et le tendit au juif en lui conseillant de le
lire et de le méditer. Puis, brusquement :
— La paix sur vous, bonhomme, lui dit-il.
Salomon le regarda s’éloigner jusqu’à ce que la vive lumière
le prenne au carrefour lointain. Alors Vitalis le Troué, balayant des gravats, apparut
au seuil de la maison, et voyant son maître très perplexe et songeur au milieu
de la ruelle, il lui demanda si l’inquisiteur Novelli l’avait menacé.
— Non, non, répondit paisiblement Salomon d’Ondes. Il m’a
seulement serré le bras très fort en me disant qu’il ne me lâcherait pas. Mais
Dieu merci, son poing tremblait un peu.
Jacques, de retour au couvent, s’en alla droit à la chapelle
où n’était que frère Guillaume Pélisson, qui avait coutume de venir se laver là
des miasmes hérétiques après chaque tenue du tribunal d’inquisition. Il s’agenouilla
près de lui, dans la pénombre. L’autre sortit à peine de son recueillement pour
lui sourire, mais le visage de son compagnon le surprit : il le vit si
tourmenté que sa prière en fut troublée. Il le surveilla, l’œil oblique, jusqu’au
dernier soupir de ses murmures, se signa. Alors Novelli, qui regardait fixement
la croix, le dos droit et les dents serrées, posa la main sur son épaule et lui
dit :
— Je crois que j’ai fait preuve d’une indulgence
coupable pour Arnaud de Vergnes.
— Que non, monseigneur, murmura Pélisson. Cet homme
était un petit criminel, frère Pomiès avait raison, et vous avez bien agi en
suivant son avis.
— Vous est-il jamais arrivé de ressentir une sorte de
plaisir amoureux à confesser des femmes, frère Guillaume ?
— Non, monseigneur. J’avoue n’écouter guère leurs
parlotes. Elles sont toutes semblables et m’ennuient beaucoup.
— Moi, j’aime tant les gens que me vient l’envie, parfois,
de les serrer dans mes bras, après que je les ai absous.
— Vous êtes jeune et très ardent, monseigneur. Dieu
vous garde longtemps ainsi.
— Priez plutôt pour qu’il m’accorde votre sagesse, frère
Guillaume. Les paroles de ce Vergnes m’ont bouleversé. J’ai eu le sentiment, en
écoutant ses aventures de faux prêtre, de n’être pas plus pur que lui. Et tout
à l’heure, par je ne sais quelle folie, le désir m’est venu de me confier à
Salomon d’Ondes, qui me déteste, avec autant d’abandon qu’à vous.
— Ne vous effrayez pas de ces doutes et de ces troubles,
frère Novelli. Il est parfois douloureux d’être aimant comme vous l’êtes, mais
vos passions sont belles, et je suis sûr que Dieu vous chérit. Vous serez un
saint homme, un jour.
— Il est de terribles mystères dans nos cœurs, frère
Guillaume, de terribles mystères.
Pélisson se courba, croisa les mains contre son front, et
Novelli se mit en pareille posture de prière, pensant que le vieil homme en
serait content, mais ses lèvres restèrent jointes, et dans son esprit ne
vinrent que des figures d’hommes et de femmes qu’il avait condamnés ces
derniers temps, et qui n’avaient pas survécu. Ce fut, un instant, comme en un
songe : ces âmes qu’il espérait avoir sauvées le regardèrent, impassibles,
puis se détournèrent de lui et le laissèrent seul devant une nuit remuante où
se perdait un chemin. Il sut alors qu’il lui faudrait bientôt marcher vers ces
ténèbres, sans aucune aide de Dieu.
6
Un peu avant l’aube, à l’heure où les moines chantaient
matines, un grand rouquin fourbu s’en vint cogner au portail du couvent, dans
la ruelle du Colombier, et demanda à voir l’inquisiteur Novelli. Cet homme, nommé
Palhat, arrivait à l’instant d’un voyage éprouvant : Jacques l’avait
envoyé à la poursuite de Jean le Hongre, pour l’espionner, après que ce pendard
mystique eut quitté Toulouse avec sa troupe. Le frère portier le fit entrer en
maugréant dans le jardin. Palhat attendit là un long moment, sous un arbre, écoutant
craintivement les voix des moines qui montaient de l’oratoire, dans l’ombre à
peine pâle, et tenant une lanterne à hauteur de sa figure pour que son maître
le
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