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L'inquisiteur

L'inquisiteur

Titel: L'inquisiteur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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sur les dalles, les
membres rompus, le crâne fendu. On entendait des gémissements dans l’ombre des
recoins, et le sang maculait le visage de nombreux vivants qui erraient de-ci
de-là, dans une grande rumeur hébétée. Le prêtre, toujours armé de sa corde
enroulée au poing, voulut se hisser sur une balustrade pour haranguer cette
malheureuse foule. Des hommes l’en empêchèrent, l’accusant d’être la cause du
carnage, et comme il résistait, Jean le Hongre, revenu de la place où il avait
conduit son cheval, ordonna qu’on le saisisse et qu’on le lie à la croix.
    C’est à ce mauvais moment que le viguier vint chercher du
secours pour combattre l’incendie de la Juiverie qui menaçait des maisons
chrétiennes. Mais voyant, dès le seuil, la violence que l’on faisait au curé, il
s’avança d’un pas ferme pour le délivrer, en criant à la garde. Aussitôt
quelques bergers du Hongre vinrent à lui, les bâtons en avant, la figure tordue
par de menaçantes ivresses. Ils se mirent à l’insulter et à l’assaillir de
crachats. Tandis qu’il les repoussait de la botte et du poing en gueulant des
jurons, d’autres Pastoureaux, courant parmi les morts que l’on tramait au
milieu de l’allée, s’en allèrent fermer le portail à double verrou pour que les
soldats ne puissent pas entrer. L’obscurité en fut épaissie, et le viguier, soudain
presque aveugle dans la dévastation de l’église, trébuchant aux débris de bois
et de statues pêle-mêle fracassés qui encombraient le sol, se trouva bientôt
entouré de cris sans visages, harcelé de coups de piques invisibles. Il était
haut, large, et de visage très sanguin. Il se mit à mouliner des bras, à défier
autour de lui des fantômes fuyants. Les bâtons qui le cernaient s’énervèrent. On
le bouscula sournoisement, pour le faire tomber. Dans la lueur d’une torche
tout à coup brandie devant sa figure, on vit luire dans son poing un éclair de
dague. Mais avant qu’il ait pu frapper l’un des hommes qui l’aiguillonnaient, la
boule de feu s’abattit sur sa tête si puissamment qu’une flamme lui resta au
milieu du front, comme une corne, et que la résine embrasée ruissela dans ses
yeux. Il tomba à genoux, les mains sur la face, en rugissant. Aussitôt des
pognes le saisirent aux épaules et le traînèrent, accroupi dans sa douleur et
ses hurlements, au pied de la croix où le prêtre était déjà attaché. On les lia
ensemble, dos à dos.
    Alors Jean le Hongre fit relever l’autel que son cheval
avait mis à mal, et se hissa sur cette sainte table. On lui tendit deux torches.
Il en prit une dans chaque main, et les bras ouverts comme un crucifié il resta
ainsi, immobile et raide, jusqu’à ce que son peuple d’ombres, devant lui, fasse
silence. Il était grand, dit Palhat en tremblant encore d’étrange amour, aussi
grand et beau qu’une statue vivante, il illuminait la voûte, et pourtant il
était pitoyable, il faisait monter dans la gorge des sanglots de tendre misère
comme un enfant vaillant au retour de la guerre, avec ses cheveux frisés et ses
yeux trop clairs, et sa poitrine maigre dans les déchirures de sa robe de moine,
et son épée sans fourreau qui tiraillait la corde qu’il avait autour de la
taille. Il était effrayant aussi : par instants, il était pareil à un
Christ frotté d’enfer, car la nuit et les lueurs sans cesse mouvantes, entre
ses feux tenus, se disputaient son visage.
    Quand les derniers bruits de bâtons et raclements de sabots
se furent éteints dans les ténèbres de l’église, il parla. D’abord il fut
hésitant et sans force comme un errant perdu qui voudrait confesser un amour
inexprimable. Puis il s’échauffa, sa voix se raffermit, des paroles douces et
mélancoliques lui vinrent aux lèvres et l’on vit son âme, peu à peu, se
dépouiller de toute armure, de tout ornement, de toute brume. Alors sa beauté
parut plus haute encore, et beaucoup de gens le contemplèrent avec de grands
soupirs, le visage extasié, comme si l’homme qui parlait devant eux était pétri
de lumière, et non plus de chair.
    Il se tut un instant. Puis soudain il appela Dieu avec des
paroles si simples, et une familiarité si quotidienne que des femmes rirent en
se frottant les yeux, et que Dieu vint : chacun le vit dans le regard du
Hongre. Il ne fit aucune prière. Il demanda seulement au Créateur de l’accueillir,
non point comme un mendiant de Sa pitié, mais comme un fils aimant

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