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L'inquisiteur

L'inquisiteur

Titel: L'inquisiteur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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n’entende
plus que des remuements embarrassés, puis tendit son autre main au vieux
bouffon bancal, qui n’osa la prendre. Alors il le saisit par le bras, l’attira
d’un geste si rude que l’autre lui vint trébucher contre l’épaule. Ainsi
flanqué d’amour flambant et de pourriture paillarde, il contempla encore les
figures luisantes dans la lumière des bougies. Il était pâle, il faisait effort
pour se tenir droit et ne pas trembler. Il avait l’air d’un doux vainqueur
fragile. Il dit :
    — Je suis moine, comme vous voyez, et j’aime cette
femme qui se tient près de moi. Elle est, dans mon corps et mon esprit, pareille
à un grand feu. Je suis en cendres, bonnes gens, par sa faute ou sa bonté, je
ne sais. En cendres sont mes sermons d’église. En cendres est ma puissance, que
vous avez peut-être redoutée. Regardez-moi, avez-vous déjà vu une âme nue ?
La mienne l’est. Ne ricanez pas, par pitié, car il me faut encore vous avouer
que les grimaces lubriques de ce vieux monstre et ses coups de bite dans l’air
qui vous faisaient tant rire tout à l’heure sont aussi dans mon corps de moine
et dans ma tête de moine. Mais là n’est pas le mal, je vous le dis. Là est
simplement l’innocence des bêtes. Et le mal n’est pas non plus dans ce feu qui
me brûle, car vous voyez bien qu’il me force à abandonner tout orgueil et à
rester debout devant vous, par je ne sais quel miracle. En vérité, je crois que
c’est la poigne de Dieu qui me tient à la nuque et me contraint de vous dire
ces paroles que vous n’entendrez en aucune messe, de vous dire que je suis
homme, comme vous, que je sais rire et pleurer et m’échauffer le ventre, comme
vous, et que j’espère le Ciel aussi sottement que vous le faites, oui, la
poigne de Dieu, bonnes gens, qui m’oblige encore à vous bénir et à demander
place en votre compagnie, malgré la peur que j’ai de votre jugement.
    Sa voix s’éteignit à bout de forces. Le bouffon boiteux s’avança
vers les tables et se mit à bousculer des corps et des tabourets pour livrer
passage à Novelli, qu’il regardait d’un air de ruse rieuse, à brefs coups d’œil
d’oiseau par-dessus son épaule, mais les hommes remuèrent de mauvaise grâce. Ils
n’osaient pas accueillir ni chasser ce moine qui venait de s’abaisser avec tant
d’impudeur devant eux, et qui les effrayait. Seule la grosse ribaude poussa le tavernier
d’un coup de croupe, agita l’air de sa lourde main baguée en souriant comme au
coin d’une rue et l’invita à s’asseoir près d’elle. Puis elle ordonna que l’on
apporte un tabouret pour Stéphanie. Quand ce fut fait, elle prit Novelli par le
bras et lui dit :
    — Vos paroles m’ont fait du bien, brave moine, elles
étaient d’une grande pitié. Ces gens ne savent pas aimer, ils n’ont pu vous
comprendre, mais moi j’ai senti de la bonté me descendre dans la poitrine en
vous écoutant, et je suis maintenant toute fraîche, comme une plante bien
arrosée. Quand vous aurez des envies de pauvre bête, pensez donc à moi, ne vous
gênez en aucune manière, je vous ferai de belles heures pour vous remercier d’avoir
pris soin de nos sentiments. Je sais bien, moi, qu’il faut aux hommes de ces
basses tendresses, elles aident à parler plus doux, à goûter la paix. Je
connais des truands qui vont jouer avec les enfants, après que je leur ai vidé
les couilles. Moi, voyez-vous, je ne jouis pas, non, rien ne me chante dans le
ventre, tant pis, mais Dieu m’aime, je le sais, parce que je soigne de bon cœur
la méchanceté du monde. Oui, Dieu m’aime. Il me fait de bien beaux cadeaux, savez-vous.
Il m’envoie des songes où je me vois reine de Jérusalem, auprès d’un roi qui me
tient la main comme un fiancé et chaque fois qu’il me regarde, je pleure de
bonheur.
    Elle se détourna, rougissante, tandis que les gens, jusqu’au
fond de la taverne, s’esclaffaient à grand bruit en lançant des moqueries
obscènes. Novelli, voulant à toute force se montrer au monde plus aimant encore
et plus humble qu’il ne l’avait fait, prit la main de la matrone perdue en
minauderies émues et la baisa avec une affection débordante, puis celle de
Stéphanie et la tint dans la sienne, sur la table, parmi les timbales. Il
regarda les hommes à nouveau silencieux alentour, leur sourit, mendiant des
signes d’amitié. Il ne rencontra que figures railleuses ou renfrognées. Un
valet de moulin rougeaud, en face de lui,

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