L'inquisiteur
joue
rugueuse de l’homme.
— Non, non, murmura-t-il, il faut que tu te lèves.
Disant cela il l’enlaça, gémit, respira délicieusement sa
tiédeur. Elle le repoussa, voulant lui obéir, mais elle eut un sourire de
regret si émouvant qu’il l’étreignit à nouveau et se coucha soudain sur elle en
arrachant la couverture entre eux. Il enfouit la bouche dans sa chevelure, son
cou, sa gorge, se redressa pour la déshabiller, s’emmêla dans sa chemise et son
jupon, la figure écarlate, le regard ébloui. Puis il se mit nu prestement, et
ils roulèrent ensemble sur leurs vêtements épars.
Ils se baisèrent comme si le diable les aiguillonnait, comme
s’ils voulaient se souffler l’éternité au ventre avant que la mort ne les
prenne, en haletant des paroles ferventes, s’enivrèrent de tendresse enragée, se
sentirent tomber dans des ténèbres prodigieuses où leur trop de joie se fit
souffrance, un bref instant, le temps que Jacques soulève sa figure de ses
enfouissements, et devine de superbes démons dans les yeux de Stéphanie. Alors
il rugit d’amour débordant. Elle l’empoigna par les cheveux pour ne point le
perdre dans le tréfonds de ciel où ils sombraient. Ils jouirent ensemble, agrippés
l’un à l’autre, bouches jointes pour se boire les cris à la source, revinrent à
l’existence comme l’on remonte du fond de l’eau, lentement, puis se défirent. Novelli,
hébété, échevelé, suant, chercha son froc à tâtons, se mit debout et tituba, se
rhabilla en jetant des coups d’œil craintifs à la trappe, tandis que Stéphanie
se rajustait, les joues rosées, trois épingles au bec, tordant en un tournemain
un lourd chignon sur sa nuque. Avant de chausser ses sabots elle se hissa sur
la pointe des pieds et tendit le visage pour effleurer les lèvres de Jacques
puis le regarda comme si elle cherchait, au-delà de ses yeux, dans les brumes
de son esprit, la réponse à une question inquiète, informulable.
— Nous partirons ce soir, murmura-t-il. Tiens-toi prête
et ne t’éloigne pas du couvent.
Ce n’étaient pas les mots qu’elle attendait, il le vit et
lui sourit gauchement, incapable de dire ce qui lui bouillonnait au cœur. Il
posa les mains sur ses joues, elle fit de même, et ils restèrent un moment à se
tenir l’un l’autre la tête, se contemplant aussi profond qu’ils le pouvaient, et
savourant leur plénitude de paix, leur simple et limpide gloire d’amour dans la
fragilité du monde. Puis elle laissa retomber ses bras et dit, fière et sûre d’elle :
— Va.
Et il s’en alla à grandes enjambées retenues pour ne pas
faire grincer le plancher.
Au bas de l’échelle, il se tourna en tous sens, épiant les
bruits. Deux moines parlaient à l’autre bout du couloir, dans la lumière
étroite d’une fenêtre. Il s’aventura peureusement jusqu’à l’escalier et
descendit à la bibliothèque où frère Bernard Lallemand était occupé à balayer
les cendres, enfoncé dans la cheminée. La lettre au pape n’était plus sur le
lutrin. Novelli la chercha, soulevant parchemins et registres, tandis que le
moine sortait en geignant de son trou de suie. Il aperçut son maître, eut un
vague sourire et le regarda faire, immobile, les manches retroussées et les
pouces dans sa ceinture. Jacques croisa les bras, eut un soupir excédé, se
rappela soudain qu’il n’avait pas cacheté les feuillets écrits la veille, et d’un
coup d’œil noir à son Bernard comprit que le gros frère les avait découverts en
faisant le ménage, les avait lus, et confisqués. Il s’approcha de lui sans un
mot, la main tendue et le regard sévère. L’autre plongea son bras jusqu’au coude
dans la vaste poche de son froc, en sortit les pages enroulées et salies de
cendres, mais ne les rendit pas. Il les tint hors de portée, et comme Novelli
les voulait prendre de force, il le repoussa et dit, le corps puissamment
planté, mais la voix peu sûre :
— Je veux que tu m’écoutes.
Novelli, fatigué d’avance, prit un tabouret posé les pieds
en l’air sur la table et le glissa sous ses fesses. Frère Bernard s’assit en
face de lui, sur la dalle de la cheminée.
— J’ai pleuré, dit-il en brandissant les feuilles
devant sa figure. Misérable, comme tu es émouvant, quand tu veux ! Tu
parles si bien de ta foi nouvelle, tu pries monseigneur le pape avec tant de
douceur que sans aucun doute il te donnera sa bénédiction, et t’accordera ce
que tu lui
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