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L'inquisiteur

L'inquisiteur

Titel: L'inquisiteur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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bonne
mine.
    — Pardonnez-moi de vous surprendre dans votre peau de
bourgeois laborieux, lui dit-il. J’ai peine à vous reconnaître. Qu’avez-vous
fait de vos allures de vieux chat ?
    Salomon, l’air amusé, lui répondit qu’il n’aimait guère les
couvents, et qu’il avait en effet quelque peine à n’y point voûter l’échine.
    — Ici, ajouta-t-il en désignant la pénombre de sa
chambre aussi pauvre qu’une cellule de moine, je suis chez moi, et vous m’y
voyez à l’aise. Cette maison va bientôt renaître. C’est un bonheur que je n’espérais
pas, après tant de ravages.
    « Ainsi, se dit Novelli, ce peigne-cul n’a jamais eu
que le souci de remplumer son jabot. Pendant que je me fendais l’âme pour son salut,
il me ficelait en pensant à ses plâtres, et sans doute riait-il de moi dans son
col. Amener le Grand Inquisiteur de Toulouse à l’état de mendiant, quel maître
coup, pour un juif philosophe ! C’est fait maintenant. Il a gagné. Il
revient à ses affaires, puisque me voilà perdu. » Sa figure était si pâle
soudain, et ses yeux si profondément cernés, que Salomon et frère Bernard lui
demandèrent avec inquiétude s’il souffrait de quelque mal. Novelli répondit, le
visage ravagé par une fièvre de Christ :
    — Vous m’avez trompé, maître Salomon. Il m’apparaît
clairement que mon amitié vous importe bien moins que votre boutique.
    — Maître Novelli, je ne veux que vivre en paix, dit le
juif, tout effaré. En quoi cela m’empêche-t-il de vous aimer comme un frère ?
    — Salomon est un homme tranquille, comme tu devrais l’être,
dit frère Bernard, d’un ton de grande évidence.
    — J’ai écrit au pape, répondit Novelli. Je lui ai
demandé de me délivrer de mes pouvoirs présents. Je l’ai fait pour que nous
vivions ensemble à même hauteur, et pour que Dieu seul soit entre nous, comme
vous le vouliez. Vous aurez bientôt une maison neuve, et moi un chemin sous les
pieds, le ciel sur la tête, un bâton dans une main, une sébile dans l’autre, pour
mendier mon pain. Alors je viendrai frapper à votre porte, je vous tendrai la
main, et je vous demanderai l’aumône de votre âme, pour l’amour de Notre
Seigneur Jésus. Que me donnerez-vous, maître Salomon ? Un denier de votre
bourse, avec quelques-unes de ces bonnes paroles que vous savez si bien dispenser
aux benêts ? Je ne m’en contenterai pas. J’attendrai à genoux, sur la
pierre de votre seuil, priant pour votre pardon jusqu’à ce que la mort me
prenne.
    Il se leva, recula vers l’échelle, les bras ouverts, et dit
encore, la voix brisée :
    — Je ne suis pas un joueur, moi. Je ne suis pas un
jongleur de serments, ni un philosophe, je vais où les mots me conduisent, j’y
vais avec ma carcasse, mon sang, ma viande, ma tripaille et ma peur. S’il est
une autre manière de vivre juste, dites-le-moi, par pitié, et vous m’épargnerez
de grandes souffrances.
    Il faillit se rompre le cou en dégringolant de l’étage, tant
ses membres tremblaient, et de rage traîna l’échelle jusqu’au milieu de la
ruelle, parmi des cris de femmes, tandis que frère Bernard et Salomon s’égosillaient
à le rappeler.
    Revenu au couvent, il s’enferma dans sa chambre et n’en
sortit que pour prévenir les moines de son prochain voyage. Le lendemain, il s’habilla
en laïc, descendit, une heure avant l’aube, à l’écurie, et sella deux mules. Puis
il s’en fut à la cuisine rassembler quelques provisions. Stéphanie y était, elle
s’occupait à rallumer le feu. Elle vint vers lui en s’essuyant les mains à ses
jupes. Il la prit aux épaules, la regarda tristement. Elle caressa son visage
et murmura, inquiète :
    — Tu as l’air malade.
    Il s’efforça de sourire.
    — Nous partons, dit-il.

14
    Ils sortirent de Toulouse par la porte du Château Narbonnais,
chevauchant côte à côte au pas fringant des mules. Des lambeaux de brumes
nocturnes traînaient encore par le faubourg, où ils ne rencontrèrent que des
bruits de volets qui s’ouvraient sur la rase campagne, et quelques vieilles
femmes ensommeillées aux puits. À peine passé les dernières maisons, ils virent
se lever le soleil sur la crête des collines et entrèrent en silence dans un
grand chemin ombragé. Des chants d’oiseaux débordaient des arbres, les fleurs
des vergers pleuvaient sur l’herbe neuve et les toits des cabanes. La brise
était fraîche, mais la journée s’annonçait saoulante.

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