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L'inquisiteur

L'inquisiteur

Titel: L'inquisiteur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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Dès qu’ils furent dans
cette exubérance printanière, Stéphanie parut soudain s’éveiller, et portant
haut la tête respira l’air parfumé avec délices, le visage offert comme à une
cascade bienfaisante. Elle n’avait jamais pu s’empêcher, au hasard de ses
routes, même les plus rudes, de flairer le moindre signe, de saisir
passionnément le plus humble bienfait, de le goûter, de s’en réjouir, d’en
épuiser le suc, comme s’il était le dernier miracle avant la mort. Ainsi
fit-elle dans ce matin piquant, malgré son souci et la peur qu’elle avait d’aller
à la mort de son frère. Elle suivit un vol de corbeaux au-dessus des vignes, se
dit en chantonnant qu’il était de bon augure, cueillit au passage une branche
fleurie, en dispersa les pétales sur la tête de son compagnon, tenta mille
manigances pour ne point se régaler seule des menus plaisirs du beau temps, mais
une méfiance craintive la retint de prendre la main de son diable de Novelli :
il semblait avancer dans d’inépuisables ténèbres, les sourcils froncés et les
yeux obstinément fixés sur l’horizon. Des paysans matinaux qui s’en venaient
aux marchés de la ville avec des baudets chargés de hottes durent tirer leurs
bêtes dans les buissons, quand ils le croisèrent, tant sa route était raide. Il
ne sembla même pas les voir.
    Ils cheminèrent ainsi une bonne heure, jusqu’à ce que
Jacques décide, sans rien en dire, de faire halte pour déjeuner de fromage et
de pain. Il poussa sa mule dans un pré, à l’ombre d’un chêne, enfermé derrière
sa figure comme s’il voyageait seul. Stéphanie, étonnée, attendit sur sa selle
qu’il ait mis pied à terre et dénoué le sac où étaient les provisions. Quand il
fut assis dans l’herbe, elle vint s’agenouiller devant lui, prit tendrement sa
tête et l’obligea à la regarder. Alors il s’émut de l’inquiétude qu’il devina
dans ses yeux et caressa du bout des doigts sa joue, avec un pauvre sourire de
blessé. Elle se laissa aller contre sa poitrine, et la berçant ainsi :
    — Pardonne-moi, dit-il. J’ai perdu hier mon seul ami, et
je me sens le cœur comme une caverne.
    Il hésita un moment, puis se mit à lui parler, en longue
plainte trébuchante, et se libérant ainsi de ses bouillonnements d’amertume, revint
peu à peu à la douceur d’amour dont il se sentait si démuni depuis la veille. Il
lui dit comment il avait été convaincu par Salomon d’Ondes de se défaire de sa
charge d’inquisiteur, comment il avait décidé de se dépouiller de toute
ambition, pour s’offrir sans retenue à la fraternité, à l’amitié pure, insurpassable,
comment il avait résolu de se faire moine mendiant, pour ne plus rien nourrir
en lui que l’affection du monde, pour être enfin sans autre volonté que celle
de Dieu. Il n’avait pas douté un seul instant que Salomon éprouvait l’exaltation
qu’il se sentait lui-même, et que le juif, touché par la grâce chrétienne, le
suivrait dans son aventureuse pauvreté conquise au prix de combats ardus et
magnifiques. Il avait même rêvé de grandes découvertes sacrées, courant les
chemins en sa compagnie, car cet homme (il dit cela avec une admiration
véhémente) était très savant : il avait fréquenté un alchimiste arabe, lu
de nombreux livres et traversé, au cours de sa vie, de dures épreuves dont il
savait le sens.
    Il se tut pour étreindre plus fort sa compagne et baiser son
front, puis dit encore :
    — Je suis sûr que tu l’aurais aimé. À nous trois, nous
serions peut-être montés vivants au Ciel. Mais il n’est pas aussi fraternel que
je le croyais. Hier, j’ai découvert qu’il n’avait jamais eu l’intention de m’accompagner.
Je suis allé chez lui. Il ravalait sa boutique et se frottait les mains à l’idée
de la voir déborder bientôt d’étoffes neuves. Je pense qu’il n’a jamais eu que
le souci de se débarrasser de moi. Il l’a fait avec une grande froideur. Dès qu’il
m’a vu inoffensif, il m’a tourné le dos, et je suis resté seul avec mon
misérable désir de faire de lui mon frère.
    — Pourquoi ne pouvez-vous partager en bonne entente ce
qui vous importe, toi mendiant, lui marchand ? demanda Stéphanie, sans
bouger de l’embrassement où elle était blottie. Les vrais chemins sont ceux du
cœur, pas ceux du monde.
    Novelli resta pensif, cherchant à dire son sentiment, mais
comme les mots ne trouvaient pas leur chemin, il secoua la tête et

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