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L'inquisiteur

L'inquisiteur

Titel: L'inquisiteur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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n’aurai
plus de maison, lui dit Novelli. Je te raconterai mes voyages, et si je
parviens à vivre aussi pauvre et bon que je le dois, tu le sauras. Je te
parlerai aussi de mes compagnons, si tu veux. Stéphanie, Salomon d’Ondes et le
vieil Arnaud que je porte en tête m’ont tant cogné sur le cœur qu’ils me l’ont
ouvert comme une gangue d’amande. Tu vois, je ne suis pas un saint, j’ai perdu
mon armure, voilà tout.
    — Et moi, demanda Gui à voix menue, affectueuse, ne
suis-je pas ton compagnon ?
    — Non. Tu es ma famille. Tu m’alourdis. Tu m’encombres.
Tu me tiens. Tu ne peux me pousser à courir le monde.
    Jacques dit ces mots avec une grande tendresse, et Gui s’en
émut comme de paroles d’amour. Il hissa les couvertures sur son ventre et remua
douillettement, la mine barbouillée par un petit rire enfantin.
    — J’aimerais t’accompagner, dit-il. Nous marcherions
ensemble, sans souci. Je n’ai jamais dormi dans la paille d’une grange.
    — Pense aux gâteaux de Grazide, répondit Novelli. Pense
à ton œuvre.
    — Et si je me sentais appelé, moi aussi, à chercher mon
salut parmi les pouilleries ?
    Ils se turent, s’affrontant sans hargne, par jeu fraternel, puis :
    — Je m’acharnerais à te retenir, dit Jacques. Comprends
qu’il me faut une maison où je puisse sans honte revenir vaincu. Comprends que
nous sommes du même arbre, mais pas de même bois. Tu es une sorte de grosse
racine, et moi une manière de branche haute. J’ai besoin que tu restes où tu es,
pour aller loin sans risque de me perdre.
    Gui de l’Isle hocha la tête. Il dit, comme l’on rend
les armes :
    — Et moi j’ai peut-être besoin que tu partes pour
rester où je suis sans étouffer d’ennui. Tu seras ma part de liberté. J’envierai
tes chemins. Tu rêveras aux friandises de ma vieille pie.
    Jacques, riant, se pencha vers son compère, le prit aux
épaules et embrassa ses joues rebondies.
    — Salut, dit-il.
    L’évêque le repoussa, riant aussi, de mauvais gré. Il
répondit :
    — Salut, fou, le bonjour au ciel.
    Il se renfonça dans ses oreillers, l’air bougon, et écouta
les pas qui s’éloignaient sur les dalles du couloir en pensant que son frère de
lait, assurément, ne craignait plus les embûches du monde. Il en fut
mélancolique.
     
    Novelli s’en alla chez Salomon d’Ondes, où il fut surpris de
trouver frère Bernard Lallemand, le froc poudré de poussière et la figure
contente : il était venu aider le juif à ravaler sa boutique. Vitalis le
Troué, accroupi sur le dallage, assemblait à grands coups de maillet les
planches d’un étal neuf. Salomon traversa vivement le vacarme, les reliefs de
gravats et les outils épars, dès qu’il aperçut son visiteur sur le seuil, pour
serrer ses mains et l’inviter à monter à l’étage, où l’air était plus
respirable. Il était vêtu d’une tunique largement délacée sur la poitrine, et
de chausses de mauvaise laine. Jacques ne l’avait jamais vu ainsi débraillé, puissant,
sale, jovial. L’ami qu’il accueillait, d’ordinaire, au couvent, était un peu
voûté, d’apparence maigre dans sa robe judaïque, et ne semblait friand que de
seule sagesse, comme un homme parvenu à l’âge où le corps s’efface. Celui qui, maintenant,
plantait d’une poigne ferme l’échelle dans les débris de l’escalier avait l’assurance
d’un travailleur de bonne carrure et la droiture d’un vivant qui ne craint pas
les fardeaux. Novelli le regarda sans rien dire et soudain lui vint à la figure
une méchante chaleur d’amoureux qui se pressent trahi. Il lui parut tout à fait
inconvenant que ce juif puisse changer d’apparence, de conduite, presque de
visage selon la circonstance. L’autre, tout à sa bienvenue, ne remarqua pas sa
perplexité. Il l’encouragea d’un geste à grimper devant lui. Vitalis et frère
Bernard les rejoignirent bientôt dans la chambre et s’assirent à côté d’eux, autour
d’un chandelier posé en mauvais équilibre sur un coffre au couvercle courbe. Un
rayon de jour tombait d’une lucarne au travers d’une paillasse soigneusement
enveloppée de couvertures. La pièce était presque nue. Les meubles brisés n’avaient
pas été remplacés.
    Tandis que le moine et le bateleur se régalaient de vin à
longs jets de gourde entre leurs lèvres presque jointes, Novelli, le dos raide
et la bouche tordue par un sourire aigre, complimenta Salomon pour sa

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