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L'inquisiteur

L'inquisiteur

Titel: L'inquisiteur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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d’un nouveau tapecul. Il s’y tint, puis
se courba lentement, s’essuyant des bras la figure comme un enfant battu, les
épaules secouées de sanglots. L’autre, le voyant pitoyable, se sentit aussitôt
vidé de sa colère. Il regarda Stéphanie, l’air penaud. Elle se détourna, et d’un
coup de talon poussa sa mule dans la pente du chemin pour aller chercher
Vitalis et frère Bernard qui sortaient ruisselants du gué après leur bataille d’éclaboussements.
Jacques s’approcha du juif qui reniflait encore, le visage dans ses mains. Il
le prit aux poignets et dit :
    — Tout de même, Salomon, avouez que vous êtes un sacré
bandit.
    Le bonhomme releva la tête. Alors Novelli vit que s’il avait
à l’instant pleuré, c’était de rire : une merveille de malice brillait
dans ses yeux mouillés.
    — Non, non, mon frère, le plus brigand des deux, c’est
vous, répondit-il.
    — Moi ? croassa l’autre, stupéfait, se frappant la
poitrine. Moi, un brigand ? Pourquoi ?
    Salomon ne put répondre : à nouveau il riait trop. Novelli
le regarda, la mâchoire pendante, et sentit une bouffée de jubilation
irrépressible lui venir aux yeux. Des gloussements roulèrent dans sa gorge, il
les retint d’abord avec une sorte de honte de puceau, mais sa rogne avait fait
un grand ménage dans sa tête. Des éclairs de pitrerie lui trouèrent soudain l’humeur,
une tempête de joie simple et brute lui monta des entrailles et du cœur en un
déferlement de pure ivresse, et il se mit à rugir énormément, répétant sans
cesse entre deux éclats : « Pourquoi ? Pourquoi ? », comme
s’il ne comprenait rien à son bonheur subit, rien au rire du juif, rien aux
bouffonneries dont il peuplait soudain le monde. Il s’étouffa, voyant devant
lui Salomon secouer la tête pour répondre « oui, oui », incapable d’en
dire plus, tant le contentement l’exténuait. À bout d’haleine, ils ouvrirent
ensemble les bras et s’étreignirent comme deux ivrognes.
    Ainsi les trouvèrent frère Bernard, Vitalis et Stéphanie, de
retour du ruisseau. Le moine et le bateleur, découvrant leurs deux maîtres
réconciliés, s’exclamèrent joyeusement, giflèrent la croupe des chevaux et
vinrent mener autour des embrassés une sarabande débridée en poussant des
jurons si sonnants et charnus que les oiseaux, dans les feuillages alentour, se
turent, effarouchés, et s’envolèrent en brefs froissements vers les branches
hautes. Stéphanie, restée à l’écart, les regarda faire, l’air amusé, puis se
mit à contempler Jacques qui serrait dans ses pognes nerveuses les épaules de
Salomon. Elle ne l’avait jamais vu aussi puissamment planté dans la vie. Elle
eut un sourire heureux, avide, comme si elle avait envie d’entrer dans cette
étreinte qui la ravissait, puis leva la tête au ciel, chercha le soleil à
travers les arbres. Il était haut, le matin mûrissait, il ne fallait pas s’attarder.
Elle mit sa mule au trot, laissant les hommes à leurs effusions turbulentes, bien
droite sur sa selle et la poitrine fièrement ronde, en femme sûre d’inspirer le
seul amour, le seul désir qui vaille.
    Vitalis et frère Bernard ne tardèrent pas à chevaucher à sa
suite, tandis que Novelli, du bout de sa manche, s’épongeait le visage, et que
Salomon, tenant ses reins meurtris, se redressait en grimaçant et riant encore.
    — Enfin, dit-il, nous voilà capables de vivre et de
parler sainement.
    Ils cheminèrent pourtant un moment en silence, humant l’air
et jouissant des ombres fraîches de la route, tout au repos de leur ivresse, puis
Novelli, le regard errant par le sous-bois, dit, la mine tranquille :
    — Je n’ai encore rien compris, Salomon.
    Ils eurent ensemble un regain de joie. Jacques se sentait
maintenant confiant comme jamais, jouissant allègrement d’une sorte de
plénitude légère, insouciante, sans pareille. Salomon lui répondit :
    — Quand vous êtes venu me voir à la prison de l’Écarlate
où vous m’aviez fait enfermer, maudit juge, je vous ai vu très exalté à l’idée
de me convertir par la seule vertu de vos discours. J’ai eu aussitôt bon espoir
de vous vaincre à ce jeu de ferrailleurs de mots que j’ai de tout temps
affectionné, je l’avoue, et qu’il vous plaisait tant de m’imposer. Je vous l’ai
dit : vous me faisiez peur, mais vous étiez ignorant, encombré de
scrupules. Moi, je vous détestais assez pour ne vous faire aucune grâce, et de
plus, je

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