L'inquisiteur
connaissais vos failles. Votre oncle Arnaud (la paix sur lui), s’était
plaint d’elles, plusieurs fois, en ma présence. Je savais que vous aviez des
démangeaisons de sainteté. Je vous ai donc gratté très malignement. Il ne me
fut guère difficile de vous amener où je voulais.
— Maudit juif, vous ne m’avez jamais ni méprisé, ni
menti, dit Novelli avec une assurance joyeuse. Je me souviens de votre visage
et de la douceur de votre voix le jour où vous m’avez parlé de ce mur qui nous
séparait. Vous ne faisiez pas le rusé, vos paroles venaient de l’âme. Il était
mille fois vrai que ma détestable puissance empêchait nos mains de se joindre
comme elles devaient. Il vous fallut du courage pour me faire comprendre cela.
— Quand on veut perdre un homme, maître Novelli, il n’est
pas nécessaire de lui mentir. Il suffit de lui opposer une vérité assez
lumineuse pour l’aveugler, et assez forte pour qu’il se casse la tête contre
elle. C’est ce que j’ai fait. Mon dessein était de changer le Grand Inquisiteur
de Toulouse en bonne bête inoffensive. Pour parvenir à mes fins, mon arme fut
cette double évidence : on ne peut entrer armé d’un fouet dans la
fraternité d’un homme. Où est le pouvoir de contraindre, l’amour n’est pas.
— Vérité magnifique, maître Salomon. Je vous sais gré
de m’avoir forcé à l’aimer ardemment. Maintenant, je me trouve bien, en elle, comme
dans le ventre de Dieu.
— Il en est d’autres plus superbes et terribles, maître
Novelli. Mais j’avoue que celle-là, quand je l’ai dite, me parut assez belle
pour vous éblouir. Je savais qu’elle éveillerait en vous quelque passion. Je ne
pensais pas cependant que vous en seriez épris au point de vouloir vous donner
à elle corps et âme.
— Je ne suis pas homme à me satisfaire de petits
bonheurs, Salomon. Je suis capable de m’enfoncer longtemps dans l’erreur, mais
quand je vois enfin où est la flamme de la bonne chandelle, sacrédieu, j’y vais
droit, sans flânerie.
— Ma faute fut de croire que vous n’aviez pas de
courage. Vous me paraissiez si enfantin, parfois ! Je pensais que mes
arguments troubleraient assez votre conscience pour que vous n’osiez plus
menacer ma liberté. Et qu’avez-vous fait, misérable ? Vous avez sacrifié, dans
le seul espoir de m’attirer à votre Dieu, vos gloires promises et la
tranquillité dorée d’une vie de grand notable. Quel insupportable cadeau, maître
Novelli, pour un juif qui n’a d’autre ambition que de vivre en paix avec son
cœur de petit prix !
— Hé, c’est donc moi qui vous ai vaincu, ricana Novelli.
Vous n’avez pas pu vous empêcher de me plaindre, quand vous m’avez vu dépouillé,
et de vous émouvoir quand vous m’avez senti prêt, pour le seul bien de nos âmes,
à tout rompre de ce qui m’attachait à la puissance.
— À force de jouer au saint, me suis-je dit, cet
imbécile est fort capable de le devenir vraiment, et par ma faute. Je ne
voulais pas avoir à me reprocher pareil désastre.
À nouveau leurs éclats de rire retentirent sous la voûte de
feuillage. Ils talonnèrent leurs montures et bientôt, au sortir d’un détour du
chemin, leur apparut, dans la lumière de midi, la vaste plaine du Lauragais. Frère
Bernard, Vitalis et Stéphanie les attendaient au bord des champs, contemplant
au loin les remparts d’un village sur une colline de belle herbe. Avant de
pousser sa mule au galop pour les rejoindre, Novelli dit, épanoui :
— Et maintenant, grâce à Dieu, vous êtes pris d’affection
pour moi. Vous voilà contraint de me suivre où j’irai.
— Me voilà contraint de vous suivre, en effet, pour
tenter de prendre ma revanche, puisque vous estimez m’avoir vaincu. Il me reste
quelques vérités dans ma besace. Je les jouerai volontiers, si vous voulez
encore risquer votre vie contre elles.
— Vous perdrez, répondit Novelli avec une plaisante
grimace conquérante.
Il battit la croupe de sa bête et Salomon le laissa aller, souriant
de le voir si fièrement droit, et si petit sous des arbres si grands.
Parvenu à la lisière de la forêt où étaient ses compagnons, Jacques
vint aussitôt à leur tête, et d’un geste de chef de bande leur ordonna de le
suivre. Il connaissait ce village dont les premières maisons échappées à la
vieille muraille d’enceinte étaient maintenant presque à portée de voix. C’était
Avignonet. Chevauchant au milieu de la route
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