L'Insoumise du Roi-Soleil
il se gratta le nez :
— Le tabac. C’est un de mes péchés. Permettez-moi de me présenter. Louis de Mieszko, marquis de Penhoët, alliance piquante d’origines polonaises et d’un titre celte. Je viens puisque vous m’appelez.
Il salua sobrement en inclinant la tête et s’approcha de moi en jouant avec une canne couronnée d’un pommeau en argent. Sa démarche souple et altière n’était pas celle d’un homme de son âge. En arrivant sur moi, il s’inclina encore, me prit la main et la baisa :
— Ce médaillon ne m’a pas trompé, fit-il d’une voix grave. Un copiste n’aurait pu mieux reproduire la beauté et la grâce de votre mère. Son souvenir est gravé dans ma mémoire depuis vingt ans.
Il ouvrit sa main gantée de gris et me tendit le bijou :
— Ceci est à vous. Je vous le rends. Puis-je m’asseoir ?
La marquise choisit ce moment pour entrer dans le salon.
— Ah ! Marquis...
— Madame de Sévigné.
Il pivota de moitié et s’inclina pareillement. Je pus ainsi le détailler de profil. Si j’exceptais les rides au coin des yeux et à la commissure des lèvres, il ne souffrait d’aucune injustice du temps. Sa peau était claire, son nez droit et fin. Il souriait à la marquise. Sous des dents blanches et saines, le menton un peu relevé adoucissait un visage taillé en lignes droites. Il portait une veste sombre, rehaussée d’un jabot en dentelle blanche. Pas de doute, cet homme élégant, mince et de belle taille devait plaire. Je ne pus m’empêcher de l’associer à mon père : ils étaient amis et je compris pourquoi. Je souris en songeant à leur pouvoir de séduction et à ce qu’il leur avait offert.
Il dut sentir que je l’observais et braqua subrepticement son regard dans ma direction. S’il jouait peu avec son corps, en revanche ses yeux ne s’arrêtaient jamais.
— Asseyez-vous sur cette banquette, proposa la marquise. Hélène, approche-toi de moi.
J’oubliais. Il portait une courte perruque de couleur grise, et cela ajoutait à son panache. J’ai jeté un œil sur la pendule du salon. Midi allait sonner. François ne tarderait pas.
— Votre père m’a écrit voilà peu. J’attendais votre message. Mais on ne me l’a donné que ce matin, à l’aube.
— Il y a trop de monde dans ce château, se moqua madame de Sévigné. Le roi sait-il au moins qui y habite ?
— Je fais confiance à ses informateurs pour connaître jusqu’au nom du plus novice de ses marmitons, répondit Louis de Mieszko, marquis de Penhoët.
— C’est donc que l’on ne vous trouvait pas. Vous étiez... occupé ? glissa-t-elle en tendant l’oreille.
La marquise attendait la réponse. Peut-être y trouverait-elle une confidence qui épicerait la prochaine lettre destinée à sa fille.
— Je jouais.
— Et vous avez gagné ? interrogea-t-elle encore.
— Oui.
— Et quoi ? expira-t-elle en se penchant sur son siège.
— Une nuit sans sommeil, répondit-il avec un sourire de rapace.
Le marquis ne semblait aucunement altéré par la fatigue.
Sa réponse mit fin aux espoirs de notre épistolaire. On ne pouvait pas en faire une lettre. Bonne perdante, elle renonça à torturer son invité et tira sur le cordon de la sonnette. Louise et Sébastien arrivèrent les bras chargés de plateaux sur lesquels croulaient des gâteaux et des fruits.
— Une simple collation, mentit-elle.
La marquise était véritablement séduite par le visiteur et je la comprenais. En outre, il vivait à Versailles et apparaissait, à ce titre, en observateur privilégié de la cour. Il y avait donc du bon à écouter un courtisan aussi établi. La faveur dont il profitait était d’autant plus rare qu’elle lui donnait droit à loger dans un appartement situé dans les Écuries.
— L’adresse est trompeuse, corrigea la marquise à mon attention. Le marquis de Penhoët dispose de trois pièces confortables. Et même d’une cuisine ! Je n’arrive pas à savoir comment il a pu obtenir cette concession. M’avouerez-vous, un jour, votre secret ?
— Je crains de provoquer la jalousie des courtisans qui attendent ma mort pour se saisir de ce trésor. Mais leur patience sera récompensée. Les travaux des Grands Communs avancent. Bientôt, on y abritera six cents nouveaux locataires. Il est grand temps. On dort n’importe où, parfois dans les couloirs, sur de simples tabourets en attendant le lever du roi. Sans doute dans l’espoir d’obtenir le privilège de dormir aux
Weitere Kostenlose Bücher