L'Insoumise du Roi-Soleil
Écuries.
— Avez-vous le nom de ces nomades ? demanda la marquise.
Il comprit qu’il lui fallait épuiser les derniers commérages sur Versailles. Le fils du Grand Condé ne fut pas à la noce. Le marquis de Penhoët l’avait croisé à l’aube, en rentrant de jeu, endormi sur un tabouret devant la porte de l’antichambre du roi. La veille, il avait tenu le bougeoir au Coucher royal. Élevé par ce signe puissant de l’étiquette, il espérait être celui que choisirait Louis XIV pour se saisir de sa première serviette du jour. Ce geste déboucherait-il sur un titre ou une nomination – car c’était le moment de parler au roi ? Le fils du Grand Condé ne cherchait ni pension ni gouvernement, mais peut-être une ambassade... À force d’en rêver, il s’était endormi. L’attente et l’espoir l’avaient épuisé. Si bien qu’en se réveillant, d’autres étaient passés devant lui. Le sort lui avait joué un tour et il enrageait.
Le marquis s’exécuta encore, et de bon cœur, en buvant du vin coupé d’eau. Il demanda aussi du café. On lui opposa le chocolat. Comme il dut répéter plusieurs fois qu’il n’en voulait pas, il se rabattit sur le tabac. Mon regard allait sans cesse de lui à la pendule. Midi passait. François ne venait point. Qu’advenait-il ? Bientôt, le marquis nota mon impatience et se tourna vers moi :
— Avez-vous fait tout ce chemin pour entendre de tels bavardages, mademoiselle ?
— Si mon père vous a écrit, vous devez savoir ce qui m’a fait venir.
— Pierre de Montbellay est fier de vous. Il est aussi inquiet. Ai-je compris que vous souhaiteriez entretenir le roi sur sa situation actuelle dans l’espoir d’obtenir sa révision ?
— Je veux dire au roi qu’il est injuste de punir mon père !
Le marquis me détailla encore. D’un regard narquois. Au fond, je crois que je l’amusais.
— Versailles vous attire pour cette seule raison ?
— Je n’éprouve aucune tentation pour les usages des courtisans dont vous vous moquez si bien. De plus, je ne vois rien d’amusant à vivre dans les communs de ce château.
— Hélène ! s’insurgea madame de Sévigné. Prends garde à tes paroles. Tu peux blesser notre ami.
— Laissez-la parler, fit doucement Louis de Mieszko.
— Sais-tu le nombre des courtisans que tu méprises prêts à tuer père et mère pour bénéficier de la bienveillance du roi ? ajouta-t-elle.
— Je viens sauver le mien, ce qui est déjà beaucoup, mais se résume ainsi : pouvez-vous m’aider, monsieur le marquis ?
— À rencontrer le roi ?
— À lui parler, tout simplement, osai-je, le cœur empli d’espoir.
Il jouait avec sa canne. Il hésitait. Il m’appréciait encore.
— Il faut connaître la géographie de la cour et c’est une partie délicate, murmura-t-il. Ne prenez pas ma critique des courtisans au pied de la lettre. Ils sont plus rusés que vous ne l’imaginez. Et font simplement ce que le roi demande. En échange, ils obtiennent ses faveurs. Mais elles sont rares... C’est pourquoi ils s’écharpent. L’étiquette n’est qu’une apparence. Ce monde semble courtois, or plongez-y la main et vous y découvrirez un nid de vipères. On s’épie, on se dit des horreurs, on se murmure des vilenies à l’oreille. Les bruits courent et ils sont faits pour abattre. Au moment où vous entrerez à Versailles, le roi sera averti de votre présence. On le fera dans l’espoir de lui plaire. Par jalousie, on mentira sur vous. Vous serez espionnée, écartée et, sans doute, vous conseillera-t-on de repartir à Saint Albert. Restez-vous ? Vous devenez encombrante. On ne vous pardonnera pas cette insistance. L’étiquette n’a pas prévu les conditions de l’embastillement. Il n’y a pas de règle. C’est une décision soudaine que le roi prend en toute liberté en s’appuyant sur les conseils de son entourage. Dans son jeu, aucune carte n’est établie. Une dame l’ennuie. Un cavalier l’en défait. Il se fatiguera de vous car il n’aime pas être gêné. Il vous expédiera deux valets munis d’une lettre de cachet et un simple marquis ne pourra rien faire.
— Je prends le risque d’échouer.
— Vous aimez jouer à qui perd gagne ? se moqua-t-il.
— N’est-ce pas en prenant tous les risques que l’on gagne gros ?
Il saisit lentement un peu de tabac et, pendant tout ce temps, réfléchit encore.
— Voyons la situation, dit-il comme pour lui. Une carte s’obstine dans mon jeu. Je n’en veux
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