L'Insoumise du Roi-Soleil
tu as entraîné le pauvre Jean-Baptiste sur ce chemin dangereux. Il clabaude, se plaint, supplie, mais il est là. Tu as juré qu’en trois jours tu rencontrerais le roi et, demain, ce sera peut-être fait. Pour cela, tu as convaincu le marquis de Penhoët d’organiser un mensonge qui peut lui faire perdre son rang de courtisan logeant à Versailles, et il te suit sans fléchir. Ce soir, tu affirmes que tu vas fièrement t’avancer vers le roi et qu’il sera si étonné de te trouver seule qu’il te laissera parler. Tu veux connaître le fond de ma pensée ?
— Oui, j’en ai besoin.
— Eh bien, soupira-t-il, compte tenu de ce que tu as déjà fait, qui pourrait affirmer que tu ne vas pas réussir ?
— Tu crois sincèrement que c’est possible ?
— Je crois surtout en toi.
— François ?
— Oui, mon amour.
— Pèse chacun de tes mots. Désormais ce que tu diras est important. Tes paroles me donnent du courage, mais tu ne dois pas mentir pour me faire plaisir.
— Ne t’en ai-je pas assez donné ?
— Plus que je n’aurais pu l’imaginer, mon tendre amant. C’est pourquoi je ne veux plus te perdre. Dis-moi ta vérité : crois-tu que mon entêtement ressemble au malheur ?
— Tu songes à la prédiction de la vieille devineresse ?
— Je m’en moque ! Je veux t’entendre toi.
— Est-ce si important de savoir ce que je pense ? Je ne sais même pas comment t’aider !
— Tu ne connais pas ton pouvoir, pourtant il est grand.
Il regarda ses bras, se toucha le visage, fit mine de chercher autour de lui :
— Pardonne-moi, Hélène, je ne vois rien ici qui puisse te nuire...
— En me mentant, tu le ferais. Alors, oui ou non, acceptes-tu que j’aille au-devant du roi ?
— C’est imprudent, risqué, impossible, mais ce n’est pas inutile. Il te faut passer par cette épreuve. Sans elle, nous ne nous serions jamais rencontrés. Il n’y a donc d’autre issue que de la poursuivre. Oui, tu ne peux t’arrêter en chemin, car il y aurait quelque chose d’inachevé qui pèserait sur toi et sur nous. Mon seul regret sera de ne pas être à tes côtés. Et si, pour cela, il t’arrivait malheur, je ne pourrais me le pardonner.
— François... Il ne m’arrivera rien puisque je ne te veux aucun mal.
Il haussa les épaules. Il aurait tant voulu y croire.
— Demain, tu seras toujours avec moi, murmurai-je. Je t’emporte, je ne te lâche plus. Je sais que tu es ma bonne étoile. Elle m’éclaire et chauffe mon cœur. Mais si tu renonçais à m’aimer, tu me détruirais. Aussi, ne t’arrête jamais.
Alors, il m’enlaça fougueusement :
— Comment pourrais-je te prouver sur l’instant la force de mon engagement ?
J’eus le courage de résister et de m’écarter de lui :
— Invite-moi au Chapeau-Rouge. Je veux voir et entendre ce que les sujets de Sa Majesté pensent du fantôme de Versailles.
XI. Mourir pour renaître
Le Chapeau-Rouge était plein à craquer. Il fallut jouer des coudes pour se glisser dans le fond de la salle, non loin de la scène. On se poussa encore. On s’excusa poliment. On finit par s’asseoir. Les feux de la rôtisserie couplés à la chaleur humaine rendaient l’air irrespirable. Mais n’était-ce pas voulu par l’aubergiste ? Les chopes de bière passaient de main en main ou circulaient au-dessus des têtes. On finit par en poser deux à notre table. Les assiettes suivirent. C’était un ragoût de gibier qui supportait la comparaison avec la cuisine de Berthe. Un chahut bon enfant rendait impossible toute conversation, mais avait-on besoin de parler ? Nous étions aussi près l’un de l’autre que dans notre lit, portés par le flot des éclats de rire et des mots qui flottaient dans cet océan pacifique et jovial. Nous naviguions indolents, bercés par nos souvenirs.
Une voix, cependant, dominait l’incroyable tohu-bohu. C’était un souffle puissant, un timbre d’opéra. Et j’aurais reconnu entre mille celle de Jean-Baptiste Bonnefoix. En redressant la tête, je finis par deviner sa grosse boule bouclée. Il était chez lui, tenant en haleine son public et présidant une table sur laquelle s’entassaient d’immenses chopes parfaitement éclusées. Il pérorait, mais son regard parcourait la salle. Si bien qu’il tomba sur le mien. D’emblée, son visage s’éclaira. Il leva alors le bras au-dessus des têtes et poussa un cri :
— Ah ! Je savais bien que je vous retrouverais.
François se tourna vers ces hurlements. À son
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