L'Insoumise du Roi-Soleil
l’aide de la magie.
Arlequin s’affairait autour des personnages. Il brouillait le jeu, baguenaudait de part et d’autre de la scène, plongeait le nez dans la cheminée dès qu’on ne regardait pas et finit par éteindre deux autres chandeliers. Son habit de couleurs, taillé dans des morceaux de drap, se fondit dans la pénombre, ajoutant à l’énigme et au mystère.
Les spectateurs ne se manifestaient presque plus, préférant se serrer les coudes. Le fantôme viendrait-il ? François m’embrassa dans le cou :
— Le texte est à peine écrit, en vérité. Sur une simple idée, les acteurs inventent et imaginent selon les réactions de la salle. Admire ce travail d’improvisation...
Restait à expliquer la présence de Pantalon.
Ce vieillard peu appétissant, présenté comme un curé défroqué qui souhaitait tout autant consulter l’au-delà, entretenait une jeune pucelle pour sa beauté mais s’inquiétait de savoir si elle n’en voulait pas à son argent. Ce qui, pour nous, les observateurs, était aussi éclatant que la verrue qui brillait sur son nez. On lui donna notre avis, mais il n’en tint pas compte. Seules les sibylles pouvaient lui répondre.
Le rideau tomba. Il fallait préparer l’apparition. L’assistance redevint bruyante, hurlant qu’elle manquait d’air et de place. Elle s’impatientait. La bière circula et le remède miraculeux apaisa les esprits. Jean-Baptiste leva les bras pour saisir une chopine. Et François me souffla à l’oreille des mots d’amour.
L’entracte permit aux acteurs de faire avancer l’intrigue. Installés devant le rideau, Arlequin et Polichinelle conspiraient.
— Je ferai un signe, aussitôt suivi de la formule magique : « Hop ! voyez-vous »...
Polichinelle sembla comprendre le message, mais le répéta trois fois afin que les personnes inattentives soient alertées. Attention ! Au signal, il fallait surveiller ces deux-là. Et on n’en sut guère plus, le Capitan Matamore venant en effet de les rejoindre en passant devant le rideau. Il gardait les alentours puisque c’était son rôle. Rien à signaler ? Arlequin et Polichinelle le rassurèrent. Le garde fit demi-tour en tremblant... Ils éclatèrent de rire et se frottèrent les mains. Le rideau se leva.
Les décors avaient peu bougé. Polichinelle vint reprendre place à la table. Usant de formules magiques trempées dans du latin de messe et de cris aigus qui amusaient la salle, il s’obstinait à faire croire à Scaramouche, Pantalon et la fausse vicomtesse de Lancquet que cette table-ci tournerait. Mordieu ! Au moindre hurlement, le Capitan Matamore surgissait dans le Salon des Glaces. Il tremblait de plus en plus et suppliait que l’on fasse moins de tapage. Les gardes suisses allaient venir. En partant, il claquait la porte, si bien qu’à chacune de ses sorties, un chandelier s’éteignait. Bientôt il n’en resta que trois qu’Arlequin entreprit d’éteindre en gonflant ses joues et en postillonnant sur les bougies. Et d’une... Si ce n’était pas suffisant, il appelait à l’aide. Hommes et femmes, bourgeois ou simples manants, soufflaient alors vers la scène. Et de deux... Et tous se prêtaient au jeu avec plaisir.
Pendant ce temps, Pantalon se fâchait et se plaignait. Par manque de lumière, ses yeux fatigués ne voyaient plus et si rien ne survenait dans l’instant, il réclamerait le remboursement de l’avance confortable versée à Polichinelle qui, lui, faisait mine de ne pas entendre et multipliait les incantations.
Soudain, Arlequin réclama le silence :
— N’avez-vous rien entendu ?
Tout le monde tendit l’oreille. Moi, la première.
— Non ! rien, murmura en tremblant Eva del Esperanza, plus vraie que nature.
— Non ! Non ! Non ! lui répondit le public.
Arlequin insista pour qu’on se taise. Turlupin vint à son secours en tançant gentiment la salle. Même le vieux Pantalon le fit.
— Silence !
D’un coup, Arlequin ouvrit la porte du Salon des Glaces et se saisit d’un chandelier qu’une main lui tendait dans le noir. Puis il revint vers le centre, non sans avoir claqué la porte, ce qui eut pour effet d’éteindre le dernier chandelier. Et de trois ! rugit un spectateur. Alors, Arlequin fit le geste entendu entre lui et Polichinelle. Le bossu dont on devinait la présence s’empressa de prononcer la formule magique convenue... mais la table ne bougea point.
On crut à un problème. La foule fut déçue. Elle allait se
Weitere Kostenlose Bücher