L'Insoumise du Roi-Soleil
le décor, s’ouvrit en grinçant. Un acteur apparut, porté par les acclamations des spectateurs.
— Il s’agit du nouveau Turlupin, me souffla François en me caressant les cheveux. Il se fait appeler ainsi en mémoire de Henri le Grand, dit Belleville ou Turlupin, un farceur qui jouait sur les tréteaux du Pont-Neuf à Paris. Ce très grand acteur travaillait aussi pour la troupe de l’Hôtel de Bourgogne. Son nom fut si célèbre que son personnage a traversé les ans...
— Je serai le conteur, clama alors Turlupin en exagérant sa fierté.
Aussitôt, la foule applaudit, siffla et s’égosilla.
— Patientez ! J’aime les honneurs, mais avant de me porter aux nues, voyez la pièce.
— Lui as-tu donné un nom ? hurla un spectateur suffoquant de chaleur et le front couvert de sueur.
— Mourir pour renaître... Ou la véritable histoire du revenant de Versailles.
La foule s’esbaudit encore. Puis elle but.
— Mais taisons-nous, ordonna Turlupin. J’entends le pas de la vicomtesse de Lancquet.
Le public tapa des pieds. Le tonnerre n’aurait pu mieux servir cette entrée triomphale.
— C’est toujours ainsi ? demandai-je à François.
Il posa la main sur mon genou.
— Non. C’est souvent pire. Ce soir, la salle est calme.
La comtesse entra, et c’était Eva del Esperanza, majestueusement gainée dans une robe que n’aurait pas reniée une noble courtisane de Versailles. Sa taille élancée ajoutait à la grâce de sa démarche.
— Pardonnez-nous, chers amis ! La Champmeslé est retenue dans le lit de Racine.
La salle explosa de rire.
— La Champmeslé, me souffla François en déposant un baiser sur mes yeux, est l’actrice préférée de Racine et aussi sa maîtresse. La tragédienne Marie Desmares, c’est son nom, ne joue pas dans la Commedia dell’Arte .
— Mais nous ne regrettons pas la présence d’Eva del Esperanza, rugit Turlupin.
La foule se leva pour applaudir et, dans un effet dont je ne vis pas l’origine, on profita de l’intermède pour éteindre trois des neuf grands chandeliers qui éclairaient la scène. Se mêlant aux ombres, qui invitaient aux confidences, le conteur expliqua que la vicomtesse de Lancquet venait de quitter une Soirée d’Appartements du Roi et attendait à l’entrée du Grand Escalier des Ambassadeurs.
— Voyez comme elle semble nerveuse, précisa Turlupin.
Pour comprendre ce qui chagrinait la belle courtisane, il nous convia à l’écouter.
En trois phrases, celle-ci expliqua qu’elle attendait ses compères. Elle tournait en rond, s’impatientait et en profitait pour présenter son projet : consulter l’au-delà.
— Ah ! Vous voilà, Scaramouche.
Les habitués hurlèrent à l’entrée d’un personnage habillé de noir. François me prit par la taille :
— Scaramouche est un personnage de la comédie italienne. Il est faraud et très peureux. Il prétend être de sang aristocratique, mais ce n’est pas vrai.
— Saurons-nous cette nuit si vous êtes petit, petit, petit, petit, petit, petit, petit, petit, petit, petit, petit, petit-fils de Louis XI ? demanda Eva.
— Cela ne fait aucun doute, lança Scaramouche d’un air méprisant. Et si j’ai accepté de consulter l’au-delà, c’est de mauvaise grâce. Je n’ai pas, cracha-t-il, besoin de sorcellerie pour savoir que je suis de sang bleu !
Ses adversaires le conspuèrent. Dans le même instant, on changea les décors. Nous entrions dans le château. C’était le Salon des Glaces. S’y trouvaient une table et quatre personnages, dont deux assis.
Le narrateur les présenta :
— Celui qui est debout est le Capitan Matamore. Regardez ce beau soldat. On l’a choisi pour garder le Salon des Glaces où se déroule cette expérience diabolique. Mais ne vous y trompez pas : c’est un couard doué pour la vantardise.
— Olé ! fit la foule quand Capitan Matamore salua.
Il y avait aussi Polichinelle, Arlequin et Pantalon. Et pour résumer la pièce, car on verra en quoi elle eut son importance, chacun représentait un des acteurs du drame de la veille qui s’était produit à Versailles.
Polichinelle, avec ses deux bosses et son nez crochu, ferait tourner les tables. Arlequin fut présenté par Turlupin comme un être cupide qui allait, selon le conteur, profiter de la candeur des autres pour s’enrichir. On nous conseillait donc d’épier ses faits et gestes. Et on ne le perdit plus de vue, d’autant qu’il fut promis de voir tourner une table sans
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