L'Insoumise du Roi-Soleil
là où tu voulais aller, et j’espère le plus grand bonheur pour toi. Mais, en te lisant, je te sens déjà préoccupée par de multiples questions. Tu t’interroges sur l’Affaire des Poisons. Tu demandes quelle en serait la cause cachée ? Voilà des sujets qui ne sont pas sans danger. Prends garde à toi, Hélène. Tu touches un domaine réservé du roi. Si tu t’aventures sur les traces de ton père, tu en connais le prix. Aussi, je t’en conjure, ménage tes critiques. Et lis attentivement ce qui suit.
« Cette lettre, je la confie à un cher ami dont je tais le nom par prudence, mais que tu connais bien. Il te la portera chez la marquise de Sévigné. S’il ne se présente pas, ne t’inquiète pas : c’est que tout va bien. Je le charge de cette mission, car je crains que nous soyons lus par un espion du roi, ce qui n’arrangerait pas nos affaires. Dans un autre pli, je te donne des nouvelles sans danger pour nous. Elles sont bonnes. Je vais bien. Berthe se lamente. Saint Albert hivernera bientôt. Et nous attendons ton retour. Mais puisque je parle de tout cela par ailleurs, venons-en à tes questions auxquelles je vais tenter de répondre sans savoir pourquoi tu les poses et si elles ont un rapport avec ta quête.
« Faut-il dater le surcroît d’intolérance de l’Affaire des Poisons ? Si j’y réfléchis, il y a bien une vie avant et après. Pour le moment, ne cherchons pas à établir un lien de cause à effet. Contentons-nous de lire les faits : c’est après l’Affaire des Poisons que la Paix de l’Église a pris fin.
« Je n’en conclus rien. Mais depuis, les protestants et les jansénistes, pour ne parler que d’eux, font l’objet de persécutions. Les enfants des huguenots sont arrachés à leurs parents et élevés selon les principes de Rome. On interdit aux protestants d’exercer les métiers d’huissier, de notaire, de procureur, de sergent. S’ils s’exilent, leurs biens sont confisqués et les repris sont menés aux galères. Leur liberté, ils ne la trouvent que dans leurs temples, mais on les détruit et, dans ceux qui restent, il faut garder une place pour les catholiques qui se comportent en espions. Hélas, la paix de l’Église a pris fin tout autant pour les jansénistes. Port-Royal est assailli. Ses partisans sont bannis. Pour moi, ils sont pareillement condamnés.
« En 1669, le roi fit frapper une médaille sur laquelle était gravé Restituta ecclesia Gallicanae concordia. Cette phrase glorifiait la concorde de l’Église de France. Mais, depuis l’Affaire des Poisons, ce n’est plus vrai. Et je ne crois pas que l’on puisse dater le début de la persécution de Port-Royal de la mort de sa puissante protectrice, la duchesse de Longueville. C’est trop court et cela n’explique pas seul l’entreprise de destruction de la Religion Prétendument Réformée dont les dragonnades de Louvois ne sont que l’élément visible.
« Dès lors, j’en viens à ta deuxième question. Faut-il voir dans l’Affaire des Poisons un lien de cause à effet avec la montée de l’intolérance ?
« Ma chère Hélène, je ne sais pas ce que tu cherches, mais je te félicite. Car, vu sous cet angle, ce fait-divers prend des allures de coup d’État. Cela voudrait dire que l’on s’est servi de ce drame comme d’un levier politique. Alors, j’ai rassemblé mes idées et j’ai étudié les faits à l’aune de cette hypothèse. Et Dieu sait où elle me conduit ! C’est pourquoi, je t’en supplie, brûle cette lettre après l’avoir lue.
« Qui aurait intérêt à ce que l’intolérance s’installe ? Cherchons du côté des ennemis des protestants et des jansénistes. Un nom domine : les jésuites. Quel est leur emprise sur le roi ? Ce sont ses directeurs de conscience. Pourquoi voudraient-ils l’influencer ? D’abord, voilà une question de pouvoir : ils ne veulent en rien le partager. Ensuite, ils luttent contre l’indépendance d’esprit de leurs opposants qui constituent autant de dangers pour l’autorité du roi et du Vatican. Je prendrai deux exemples. Les jansénistes croient à la prédestination des âmes ; chaque destin serait écrit par Dieu. “C’est la négation de la liberté chrétienne !” hurlent les jésuites. Et surtout, pourrait-on leur répliquer, la fin du pouvoir du directeur de conscience qui, en confession, tempère ou aggrave son jugement selon les intérêts de son ordre...
« Parlons des protestants. Ils ne s’agenouillent
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