L'Insoumise du Roi-Soleil
pas à l’église. Ah ! le péché mortel. C’est qu’en ne s’inclinant point devant la représentation de Dieu ou de ses saints, ils menaceraient surtout l’autorité de ses représentants. Et qui intercède auprès de Dieu ? Le jésuite, puisqu’il est le confesseur. Lequel cherche donc à abattre les hérétiques de tous bords, présentés comme des fauteurs de désordre, parce qu’ils menacent son pouvoir.
« Maintenant, j’en viens à la question la plus délicate. Pourquoi le roi écouterait-il les défenseurs de l’intolérance ? Mille sermons, mille discours et mille confessions ont fini par faire leur chemin. Le roi se convainc peu à peu que sa mission est d’unifier la foi. Une loi, un roi et une foi. Car on le persuade qu’un grand roi doit mettre fin à la discorde. Et ce sera bientôt une autre façon de chanter la concorde, mais à une seule voix, comme le chantre, à l’église...
« L’Affaire des Poisons a-t-elle joué un rôle dans le changement d’attitude du souverain ? Eh bien, je finis, après réflexion, par le penser. Au fond, qui aurait-on voulu abattre ? Les défenseurs de la tolérance. A-t-on usé des faits pour influencer le roi ? C’est possible. Il suffit d’entendre les sermons du Grand Chapeau Louis Bourdaloue 2 sur l’impureté pour imaginer combien un seul mot peut, à force de le répéter rudement, influencer l’âme la plus solide. Mais a-t-on manipulé les événements pour leur faire dire ce qui ne se serait pas produit ? C’est si grave que je n’ose y songer davantage, mais rien n’est impossible. Je n’oublie pas que Montespan a été la victime de ce drame, et Maintenon, alliée des jésuites, la bénéficiaire. Utiliser l’Affaire des Poisons pour influencer le jugement du roi ? Retiens donc cela. Puis, détruis ma lettre et n’utilise que ces mots : “Il faut voir au-delà des apparences.”
« Je te donne enfin ce dernier conseil. Tu dois entendre la marquise de Sévigné sur ce sujet. Elle a ma confiance et elle connaît les jansénistes pour en être proche. Demande-lui qu’elle t’éclaire sur ce que le roi et les jésuites gagneraient à une concorde qui se réduirait à la seule église romaine. Elle a sans doute d’autres idées que moi et elles te serviront sûrement.
« Je t’embrasse, ma chère fille. Prends soin de toi et écris-moi souvent,
« Ton père, Pierre de Montbellay, comte de Saint Albert, qui t’aime. »
Plus je relisais cette lettre, plus je me persuadais que les mêmes causes produisaient les mêmes effets. Avait-on pu, primo organiser l’Affaire du Fantôme pour, secundo, agir sur l’opinion du roi ?
Bien sûr, l’identité des morts me poussait vers cette audacieuse possibilité. Qui ne manquait pas de m’effrayer.
« Vois au-delà des apparences », me conseillait mon père. Quand le jour fut levé, après tant d’heures à cogiter, ruminer, songer et échafauder, le complot religieux me devint une évidence. Il n’y avait pas d’autre chemin à creuser. Et si Marinvaud ne se montrait jamais, et si le mort de la rue Mouffetard emportait ses secrets, cela ne suffisait point pour m’arrêter. J’avais eu raison de parler ainsi au roi. Je ne me trompais pas. J’étais même prête à bondir chez La Reynie pour lui faire part de ma thèse et lui assurer que cette intuition, née de l’esprit d’une femme, constituait la vérité. Oui, il fallait le convaincre de ne pas se résigner, de ne pas abandonner, parce qu’il y allait de la réhabilitation de mon père, du serment que le roi avait fait, de ce que j’avais juré d’obtenir auprès de lui. Pourtant, une dernière peur retenait ma fougue : si je me précipitais sans autre preuve chez le lieutenant de police, il se méfierait. « D’où vous vient cette certitude si franche ? » me demanderait-il à juste titre de sa voix nasillarde et perspicace. « Auriez-vous eu connaissance de faits nouveaux ? » Or il n’était en rien question de lui parler de la lettre de Saint Albert.
J’en étais là de mes réflexions, hésitations et supputations lorsque, au cœur de notre doux refuge, François bougea. En le regardant dormir, mon tourment s’adoucit. Il me fallait encore attendre et garder ces idées au fond de mon âme. Peu après, alors que je me glissais avec précaution hors du lit afin de ne pas le réveiller, je me souvins qu’il me restait un petit espoir auquel je devais m’accrocher. Le marquis de Penhoët était à Versailles,
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