L'Insoumise du Roi-Soleil
chaque parcelle de verdure représentait l’élément nécessaire mais insuffisant d’un concert où l’existence du roi s’exprimait dans les moindres détails. Pour admirer et pour aimer le talent des artistes, il fallait s’attarder sur la volupté des jeux d’eau, sur les courbes licencieuses des statues, sur la construction intime des buissons. Mais pour comprendre ce tout indissociable, cette attirance dont la finalité était le roi, il convenait de s’élever. Alors, tel le virtuose qui prend la mesure de ses instruments, il devenait évident que les allées de ces jardins reconduisaient le voyageur, quelles que soient ses divagations, au centre d’un univers dont le palais, siège du souverain, constituait le point culminant.
— Vous marchez trop vite, me plaignis-je.
J’étais de mauvaise foi. Je voulais m’arrêter, profiter, je voulais rester. Malgré moi, je cédais à l’envoûtement, comme captive attendrie d’un monde dont, étrange paradoxe, je me méfiais. Était-ce une soumission ? François ne songeait qu’à m’observer. Il mesurait ma tentation et semblait peu l’apprécier.
— Pressez-vous ! lança-t-il brusquement. Voyez-vous ces gardes qui se mettent en place et ces jardiniers qui règlent les fontaines ?
— Sont-ce eux qui vous font peur ? me moquai-je encore.
Il se sépara de moi, furieux.
— Comment croire que vous réussirez à Versailles ? Vous ne connaissez aucune de ses règles ! Pour qui, selon vous, le monde s’agite et se remet à tourner ? Le Roi-Soleil arrive... Et nous serons bientôt pris dans ses rayons.
— Pour une fois, ce jeune homme dit vrai, intervint Bonnefoix. Cette activité est un signe. Regardez autour de vous. On accourt, on se presse. Ah ! il reste ce passage. En contournant les bassins des Couronnes, nous rejoindrons les réservoirs d’eau. Il y a peu de chance de trouver des têtes connues de monsieur de Saint Val près de la Tour d’eau. Venez vite !
Il filait déjà, bousculant un groupe de bourgeois.
— Patiente ! le suppliai-je. Donne-moi encore un peu de temps.
Sans connaître sa réponse, je retournai sur le Parterre d’eau donnant sur la face occidentale du château. Je me trouvais à trente pieds des fenêtres du roi. Mon regard y entra.
— Que faites-vous ? Un garde va venir.
Jean-Baptiste et François m’avaient rattrapée.
— Il faut partir !
— Voici qu’on approche.
— Mon Dieu ! Nous aurons droit à la Bastille.
Je ne bronchais pas. J’attendais. Je voulais savoir.
— Mais qu’espérez-vous ? gémit Bonnefoix.
— Ce qui vient de se produire, claironnai-je.
Et, d’un coup de tête, je désignai les fenêtres de Louis XIV.
L’un et l’autre levèrent le nez. Jean-Baptiste s’exprima en premier :
— Mon Dieu, répéta-t-il. Le roi...
— C’est bien lui, je vous le confirme, glissa François d’une voix sombre.
— Je lui fais un signe ? demandai-je ironiquement.
— Commettez cette imprudence, et j’en meurs pour de bon, prédit Bonnefoix.
Aussitôt, il se courba :
— Saluez, je vous en supplie. Saluez et inclinez-vous.
Je ne fis ni l’un ni l’autre. Je souris à la silhouette qui se montrait et celle-ci, je crois, s’en étonna. Louis XIV se tourna alors vers sa gauche. Une femme apparut. Si fugace, si légère. Et si belle. Il lui dit un mot en continuant à nous observer. Parlait-il de nous ?
— C’est la marquise de Montespan, murmura François de Saint Val.
— Vous connaît-elle ? lui demandai-je sans lâcher la fenêtre des yeux.
— Non ! Ou de si loin...
— Alors, souriez-lui !
— Cette fois, cela en fait trop ! gémit Bonnefoix. Aidez-moi, monsieur de Saint Val, il faut que nous partions.
— Eh quoi ! Je vous attends, lançai-je à voix haute.
Je partis devant, par le bassin du Dragon. Ils coururent à ma suite.
— Vous voilà satisfaite ? rugit Bonnefoix en trottinant à mes côtés.
En tous points, en effet. Car ce jour-là, j’avais, en un éclair, décidé de provoquer le destin, comme on le fait en se frottant aux cartes. J’engageais une partie. Je voulais voir le jeu. J’entrais dans un château dont la pièce maîtresse était le roi. Je devais chercher le point le plus haut, le plus inaccessible de cette construction, puisque tout reposait sur lui . Et dans ce château de cartes, je l’avais trouvé au premier coup d’œil. Je n’y gagnais qu’une satisfaction sans lien avec ce que je cherchais à obtenir. C’était enfantin, risqué et
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