L'Insoumise du Roi-Soleil
compris ce que je redoute en restant ici ?
— Non, monsieur. Mais ne faut-il pas tout expliquer à un valet ?
— Eh bien, soit... C’est à cause des quartiers d’hiver.
— Nous voilà bien avancés.
— Je vous en prie, comprenez-moi. L’hiver approche. Et le Royaume ne connaît pas de guerre...
— Si bien que ?
— Ce sont les quartiers d’hiver, grommela François entre ses dents.
— Je ne saisis toujours pas, bougonna Bonnefoix.
— Laissez-moi deviner, glissai-je adoucie. Votre père est soldat. Craignez-vous de vous trouver face à lui ?
— Il est ici, j’en suis certain, soupira-t-il. En ce moment, le roi entend la messe. Mais avant son dîner 1 , il se rendra chez madame de Montespan. L’idée leur viendra de marcher dans les jardins. Les courtisans suivront. Mon père en sera. Au bout de ce bosquet, nous tomberons l’un sur l’autre. L’altercation surviendra, d’autres courtisans s’y mêleront. Le roi sera informé. Et vous, qu’y gagnerez-vous ? Suis-je venu pour vous servir ou pour vous nuire ?
— Il pourrait être amusant de profiter de cette occasion pour parler au roi.
Jean-Baptiste roula les yeux, tant il semblait d’un coup effrayé :
— Seigneur Tout-Puissant ! Entendez-vous cela ?
— Vous y songez sérieusement ? demanda plus calmement François.
— L’hypothèse me séduit.
— Seigneur Dieu ! continua de gémir Bonnefoix.
— Mais je crains de faire mourir Jean-Baptiste, ajoutai-je.
— Moi et votre père, renchérit ce dernier en jetant des regards à tout-va pour observer si quelqu’un avait deviné quelque chose.
— Et de mettre fin à vos espoirs, conclut justement François de Saint Val.
— C’est pourquoi je vous écouterai.
— À la bonne heure ! se réjouit Jean-Baptiste.
— ... en décidant que nous n’irons guère plus loin que le Parterre d’eau.
— Mais c’est en face du château, se plaignit-il. Sous les fenêtres mêmes du roi ! Vous ne pourriez être plus près de son appartement.
— Nous y allons et nous revenons. Je vous en prie.
— Ni halte ni regard indiscret ? s’enquit François.
— Un simple passage en coup de vent.
— Ni chicane ni empoignade avec le premier venu ?
— Une brise légère, et déjà l’oiseau s’envolera.
— Vous ne renoncerez pas ? insista-t-il.
— Non, elle n’abandonne jamais, rétorqua Jean-Baptiste. Donc, la seule façon de partir est d’y aller.
— Cette logique est implacable, sourit François de Saint Val. En route !
Il me tendit le bras :
— Au moins, y gagnerai-je ce plaisir ?
Je lui confiai le mien, et nous allâmes au même pas, laissant à Bonnefoix le soin de fermer la marche.
— Je garde vos arrières, bougonna-t-il, en jetant des regards inquiets aux alentours.
Bientôt, notre trio se mêla aux curieux qui arpentaient les allées des jardins. Mais la balade se voulait courte et je pus moins qu’à mon goût m’attarder sur la splendeur du théâtre de verdure. Ma stupéfaction – mon admiration – venait tant de la multiplication des points de vue que de la perspective infinie qui se noyait dans la brume du jour. Nous marchâmes sans flâner jusqu’au Parterre d’eau qui lui-même annonçait le parterre de Latone, puis l’Allée royale, et le bassin d’Apollon. Cette suite semblait conçue pour appeler – pour désirer – la vue du Grand Canal, dont j’apercevais la Tête à une distance considérable. Tout n’était qu’ordre et beauté. Tout conduisait et ramenait à l’étendue d’eau qui elle-même s’inclinait devant les fenêtres du roi. La révélation se faisait en marchant, mais aussi, et surtout, en regardant depuis la terrasse qui surplombait le Parterre. De ce point de vue dominant, l’œil s’en allait en aventure et suivait sans se lasser le dessin infiniment renouvelé des lignes qui menaient d’un bosquet à un massif fleuri ou d’une fontaine à un bassin dormant. C’était une découverte extasiée, un itinéraire contemplatif et peut-être amoureux, le survol d’une peinture irréelle qui fixait un monde absolu. Ces jardins pouvaient-ils exister en dehors de ces lieux ? Étaient-ils seulement vrais ? La réponse obligeait à imaginer un rival, mais, rien ne pouvait supporter la comparaison de cette harmonie.
Ces jardins incarnaient un autre signe de ce tout qui se voulait un . Lully bâtissait des opéras dans lesquels la vie propre de chaque instrument s’effaçait au profit d’un ensemble. De la même façon,
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