Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
cousine ; mais ce sir Digby Dent est un gentilhomme.
– Un gentilhomme ! tout Anglais qui porte un habit écarlate et des épaulettes ne prétend-il pas l’être, et ne se croit-il pas le droit de prendre de grands airs aux colonies ?
– Comme j’espère avoir quelques prétentions à porter moi-même le titre de lady, je ne sais pas pourquoi, dans le peu de relations que nous avons avec lui, je ne lui témoignerais pas de la politesse.
– Cécile Dynevor ! s’écria Agnès l’œil étincelant, et devinant avec l’instinct d’une femme à quoi sa cousine faisait allusion, tous les Anglais ne sont pas des Lionel Lincoln.
– Et le major Lincoln n’est pas Anglais, répondit Cécile en souriant et en rougissant ; mais j’ai quelque raison pour croire que le capitaine Polwarth a droit à ce titre.
– Fi donc, Cécile ! fi donc ! Le pauvre homme a été bien puni de sa faute, et il doit inspirer la pitié.
– Prenez-y garde, cousine : la pitié est proche parente de sentiments plus tendres, et si vous la laissez une fois entrer dans votre cœur, vous pourrez bien en ouvrir la porte à toute la famille.
– C’est exactement le point en question, Cécile. Parce que vous estimez le major Lincoln, vous êtes disposée à admirer Howe et tous ses myrmidons ; moi, je puis avoir pitié et rester ferme dans mes principes.
– Le moment arrivera.
– Jamais ! s’écria Agnès avec une chaleur qui la faisait aller plus loin qu’elle ne le voulait, car elle ajouta sur-le-champ : – Ou du moins, s’il arrive, ce ne sera jamais avec un habit écarlate.
Cécile sourit, et ayant achevé la toilette qu’elle faisait pour le dîner, elle se retira sans répondre.
Ces petites discussions, plus ou moins animées par la vivacité particulière d’Agnès, se renouvelaient assez fréquemment ; mais l’œil de sa cousine devenait tous les jours plus pensif, et l’indifférence avec laquelle elle écoutait se montrait plus à découvert dans chaque conversation qui succédait à une autre.
Cependant le siège, quoique conduit avec beaucoup de soin et de vigilance, n’était qu’un blocus.
Les Américains étaient cantonnés par milliers dans les villages voisins, et de forts détachements étaient campés près des batteries qui commandaient les approches de la place. Quoique leurs ressources se fussent considérablement augmentées par la prise de plusieurs bâtiments chargés d’armes et de munitions, et par la réduction de deux forteresses importantes sur les frontières du Canada, ils n’étaient pas assez riches en approvisionnements de guerre pour les prodiguer sans nécessité, comme on le fait souvent. La rareté des munitions était donc une raison pour les ménager ; mais ils avaient un motif personnel qui s’y joignait encore : c’était le désir de reprendre leur ville en y causant le moins de dommage possible. D’une autre part, l’impression qu’avait faite la bataille de Bunker-Hill était encore assez fraîche pour réprimer l’esprit entreprenant des chefs de l’armée royale, et ils souffraient que Washington tînt en échec leurs forces nombreuses et bien organisées, tandis qu’il n’avait sous ses ordres qu’une multitude indisciplinée et mal armée, qui quelquefois même se trouvait dépourvue de tout moyen d’opposer aux ennemis qui l’auraient attaquée une résistance momentanée {58} .
Néanmoins, comme on maintenait toujours une apparence d’hostilités, le bruit du canon se faisait entendre assez souvent, et il y avait des jours où des escarmouches entre les postes avancés des deux armées occasionnaient un feu plus soutenu et des décharges d’artillerie plus multipliées. Mais les oreilles des dames s’étaient habituées depuis longtemps à ce bruit effrayant ; et comme les ouvrages extérieurs étaient toujours le théâtre de ces luttes passagères, elles ne causaient plus que peu ou point de terreur.
Une quinzaine de jours se passèrent ainsi, sans aucun incident qui mérite d’être rapporté. Au bout de ce temps, Polwarth arriva un beau matin dans la cour de la maison de Mrs Lechmere avec toute l’adresse dont il était capable, et qui en l’année 1775 caractérisait celui qui était familier avec l’art de conduire un tompung. Quelques instants après on entendit sa jambe de bois annoncer son passage dans le corridor où le reste de la compagnie attendait son arrivée. Les deux aimables cousines étaient enveloppées
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