Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
pourrait appeler sa résurrection, car le temps ne lui avait pas permis de sortir le dimanche d’auparavant, Lionel n’avait pas eu occasion de remarquer combien la population de la ville avait diminuée. Un grand nombre d’habitants l’avaient quittée peu à peu, les uns clandestinement, les autres à la faveur de passeports qu’ils avaient obtenus du général en chef, de sorte que ceux qui y restaient encore étaient moins nombreux que les troupes de la garnison et ce qui en formait la suite nécessaire.
Lorsqu’ils s’approchèrent de la chapelle du roi, ils trouvèrent la rue remplie de groupes de militaires qui riaient et causaient à haute voix sans s’inquiéter s’ils scandalisaient le peu de citoyens qu’on voyait s’acheminer gravement vers l’église avec cet air sérieux qui annonçait qu’ils étaient occupés de la solennité du saint jour et des devoirs qu’il imposait. La faiblesse de la garnison avait fait perdre si complètement à Boston le caractère de gravité qui distinguait cette ville, et dont elle était si fière, que le porche même du temple n’était pas à l’abri de cette gaieté inconsidérée et des plaisanteries enjouées d’une jeunesse dissipée et irréfléchie, à une heure où, en pareil jour, il régnait dans toute la province un silence si profond qu’on aurait pu croire que la nature interrompait le cours de ses fonctions pour s’unir aux hommages que l’homme rendait à la Divinité. Lionel fut affecté de ce changement, et il le fut encore plus en remarquant que ses deux compagnes se cachaient le visage avec leurs manchons, comme pour empêcher leurs yeux de voir un spectacle qui rappelait des souvenirs encore plus pénibles à des esprits élevés dans les habitudes de réflexion du pays.
Quand le splendide équipage s’arrêta devant l’église, plus de six officiers se présentèrent pour aider les jeunes dames à traverser le portique qui conduisait au temple, et que la gelée et la neige avaient rendu glissant. Agnès les remercia par une froide révérence, et dit avec un sourire fort équivoque à un jeune militaire qui était un de ceux qui montraient le plus d’empressement de lui être utile :
– Nous qui sommes habituées au climat, nous ne trouvons aucune difficulté à marcher sur la glace, quelque dangereuse qu’elle puisse paraître à des étrangers. À ces mots elle salua, et entra gravement dans l’église, sans daigner accorder un seul regard à ceux qui faisaient haie à droite et à gauche.
Les manières de Cécile furent plus douces. De même que sa cousine, elle entra sur-le-champ dans l’église, repoussant les tentatives de ceux qui auraient désiré lui adresser quelques compliments ; son air de dignité imposait à tous ceux qui étaient près d’elle. Par suite de la marche rapide de leurs compagnes, Lionel et Polwarth furent laissés parmi la foule d’officiers qui assiégeaient la porte de l’église. Le major s’avança sous la colonnade qui en ornait l’extérieur, et passa de groupe en groupe, répondant aux questions et en faisant lui-même avec la politesse ordinaire des militaires. Ici trois ou quatre vétérans étaient appuyés sur une des formidables colonnes qui s’élevaient lourdement de trois côtés de l’édifice, et discutaient gravement sur les signes politiques du temps et sur la position de leurs corps respectifs. Là quelques jeunes gens imberbes, décorés de tous les vains emblèmes de leur profession, obstruaient le passage du peu de femmes qui arrivaient, sous prétexte de montrer leur admiration pour le beau sexe, mais dans le fait par espoir d’en inspirer eux-mêmes. On voyait çà et là d’autres petits groupes ; ceux-ci écoutant les fades plaisanteries d’un bouffon de profession, ceux-là maudissant le pays dans lequel le destin les obligeait à servir, d’autres racontant les merveilles qu’ils avaient vues dans d’autres pays, et faisant une pompeuse description des dangers qu’ils y avaient courus.
Au milieu d’un tel rassemblement, il n’était pourtant pas difficile de trouver quelques hommes dont les vues étaient plus élevées, et dont la conduite annonçait une meilleure éducation et des principes plus religieux. Lionel resta quelques instants à converser avec un officier de cette classe, sous la partie du portique la plus éloignée de la porte. Enfin le son de l’orgue se fit entendre, et tous les groupes commencèrent à se séparer, comme si
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