Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
d’autres se promenaient, et quelques uns étaient assis au gré du hasard ou suivant leur choix. Un léger mouvement eut lieu lorsque Cécile entra, mais ce fut l’affaire d’un instant, quoique sa mante de beau drap et son capuchon de soie n’eussent pas manqué d’attirer sur elle les regards des deux femmes, qui l’examinèrent avec des yeux plus sévères qu’elle n’en avait encore rencontré dans son expédition hasardeuse ; elle accepta une chaise qu’on lui offrit près du feu qui brillait dans le foyer, et d’où partait la seule lumière qui éclairât la salle, et se disposa à attendre avec impatience le retour de son conducteur, qui partit sur-le-champ pour aller informer de son arrivée le général américain.
– C’est un terrible temps pour voyager, et surtout pour une dame, dit une femme de moyen âge assise près d’elle, et qui s’occupait à tricoter, quoique ses vêtements annonçassent qu’elle était aussi en voyage ; si j’avais su qu’il se passait aujourd’hui de pareilles choses, je n’aurais jamais traversé le Connecticut, quoique j’aie mon fils unique dans le camp.
– Ce doit être un grand chagrin pour le cœur d’une mère, dit Cécile, quand elle entend le bruit d’un combat dans lequel elle sait que ses fils sont engagés.
– Oui, Royal est engagé pour six mois, et il a presque promis de rester jusqu’à ce que les troupes du roi aient fini par rendre la ville.
– Il me semble, dit un grave fermier qui était assis au coin de la cheminée, de l’autre côté, que, pour un homme qui combat contre la couronne, votre fils a un singulier nom.
– Ah ! mais il faut songer qu’il y a dix-huit ans qu’il le porte, et un nom qu’on a reçu avec le saint baptême ne peut pas se changer suivant le temps et les circonstances. J’étais accouchée de deux jumeaux, et je nommai l’un Prince et l’autre Royal , parce qu’ils étaient nés le jour anniversaire de la naissance du roi : c’était avant que le cœur de Sa Majesté fût changé, et quand tous les habitants des colonies l’aimaient comme s’il eût été de leur chair et de leur sang.
– Eh bien ! bonne femme, dit le fermier en souriant avec un air de bonne humeur et en se levant pour lui offrir une prise de tabac en signe d’amitié, et comme pour faire excuser la liberté qu’il prenait en se mêlant dans ses affaires domestiques, vous aviez donc un héritier du trône dans votre famille, car le prince royal vient après le roi, dit-on, et, d’après ce que vous dites, un de vos enfants du moins est un brave garçon, qui ne paraît pas disposé à vendre son héritage pour un plat de lentilles. Ne dites-vous pas que Royal sert dans notre armée ?
– Il est en ce bienheureux moment à une des batteries en face de la presqu’île. Dieu sait que c’est une chose terrible que d’être obligé de chercher à abattre les maisons de ceux qui sont du même sang et de la même religion que nous ; mais il faut que cela soit pour renverser les mauvais desseins de ceux qui voudraient vivre dans la pompe et la fainéantise au prix du travail et de la sueur de leurs semblables.
L’honnête fermier sourit du patriotisme un peu intéressé de la bonne femme, et lui dit avec un ton de gravité qui rendait sa gaieté doublement plaisante :
– Il faut espérer que Royal ne sera pas trop fatigué quand le matin arrivera. Mais que fait Prince dans un pareil moment ? Est-il resté tranquillement avec son père, comme étant trop jeune pour porter les armes ?
– Non, non, répondit-elle en secouant la tête avec un air de chagrin ; j’espère qu’il est avec notre père commun qui est dans le ciel. Et vous vous trompez bien si vous croyez qu’il n’était pas en état de porter les armes. C’était mon premier-né, et un des plus beaux jeunes gens de la province. Quand il apprit que les troupes du roi étaient venues à Lexington pour tout tuer et détruire dans le pays, il prit son mousquet et s’en alla avec les autres pour savoir de quel droit on massacrait les Américains. Il était jeune et plein d’ardeur, et il voulait être un des premiers à combattre pour les droits de son pays. La dernière fois que je reçus de ses nouvelles il était sur les hauteurs de Breeds, mais il n’en revint jamais, et l’on me renvoya les vêtements qu’il avait laissés dans le camp. C’est à un de ses bas que vous me voyez faire de nouveaux pieds pour son frère.
Elle fit
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