Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
cette explication avec autant de calme que de simplicité, quoique de grosses larmes qui lui tombaient des yeux roulassent sur l’humble ouvrage auquel elle travaillait.
– Et voilà comme nos plus braves enfants sont moissonnés en combattant contre la lie de l’Europe ! s’écria le fermier avec une chaleur qui montrait combien sa sensibilité était émue ; mais j’espère que votre autre fils pourra trouver l’occasion de venger la mort de son frère.
– À Dieu ne plaise ! dit la bonne femme, à Dieu ne plaise ! La vengeance est un péché, et je ne voudrais pas que mon fils portât au combat une passion si blâmable. Dieu nous a donné ce pays pour y demeurer et pour y élever des temples pour adorer son saint nom, et en nous l’accordant il nous a donné le droit de nous défendre contre toute oppression. Prince a eu raison de prendre les armes, et Royal a bien fait de l’imiter.
– Je crois que je mérite le reproche que vous me faites, dit le fermier en jetant un regard à la ronde sur tout le cercle, et d’un ton qui prouvait qu’il n’avait plus dessein de plaisanter. Que Dieu vous bénisse, ma bonne femme, et qu’il lui plaise de délivrer vous, votre fils et tout le pays du fléau qui est tombé sur nous pour nos péchés ! Je pars au lever du soleil pour l’ouest, et si je puis porter à votre mari une parole de consolation de votre part, ce ne seront pas une ou deux montagnes à gravir qui m’en empêcheront.
– Je vous remercie de cette offre tout autant que si je l’acceptais, Monsieur. Mon mari serait charmé de vous voir à son habitation ; mais je suis déjà lasse du bruit et de la vue de la guerre, et je ne resterai pas longtemps ici après que mon fils sera revenu de la bataille. J’irai demain matin à Cragie’s-House pour voir cet homme étonnant que le peuple a choisi dans son sein pour son chef, et je m’en retournerai sur-le-champ, car je vois que ce n’est pas à moi que de pareilles scènes peuvent convenir.
– Il faudra donc que vous le suiviez sur le lieu du danger, car je l’ai vu, il n’y a pas une heure, courant avec tout son cortège vers le bord de l’eau, et je suis convaincu qu’on ne fait pas cette dépense extraordinaire de munitions sans quelque projet que nous autres pauvres esprits nous ne pouvons deviner.
– De qui parlez-vous ? s’écria Cécile involontairement.
– De qui parlerait-on, si ce n’est de Washington ? répondit derrière elle une voix forte mais basse, dont le son remarquable lui rappela sur-le-champ celle du vieux messager de mort qui avait paru si inopinément dans la chambre de son aïeule quelques instants avant son trépas.
Cécile se leva en tressaillant et recula à quelques pas de Ralph, qui continua à la regarder d’un œil fixe et perçant, sans s’inquiéter du nombre et de la qualité des spectateurs qui les examinaient avec attention.
– Nous ne sommes pas étrangers l’un à l’autre, jeune dame, continua le vieillard, et vous m’excuserez si j’ajoute que la vue d’une connaissance ne doit pas être désagréable à une personne de votre sexe au milieu du désordre et de la confusion qui règnent ici.
– Une connaissance ! répéta Cécile.
– Oui, une connaissance, répondit Ralph. Nous nous connaissons certainement l’un l’autre. Vous me croirez quand je vous aurai dit que je viens de voir dans le corps-de-garde les deux hommes qui vous accompagnaient.
Cécile jeta derrière elle un regard à la dérobée, et vit avec alarme qu’elle avait été séparée de Meriton et de l’étranger. Avant qu’elle eût le temps de faire une seule réflexion à ce sujet, le vieillard se rapprocha d’elle, et lui dit avec une politesse que son costume grossier et négligé rendait plus frappante encore :
– Cet endroit n’est pas convenable pour la nièce d’un pair d’Angleterre ; mais je suis depuis longtemps comme chez moi dans ce village où tout respire la guerre. Suivez-moi ; je vais vous conduire dans un lieu plus digne de votre sexe et de votre condition.
Cécile hésitait ; mais, voyant tous les yeux fixés sur elle avec une curiosité qui avait interrompu tout ce dont chacun s’occupait pour regarder et écouter ce qui se passait entre elle et le vieillard, elle accepta d’un air timide la main qu’il lui offrait, et se laissa conduire en silence, non seulement hors de la chambre, mais hors de la maison. Ils en sortirent par une porte différente de celle
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