Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
vous avez entendu la vérité, et vous avez vu l’effet qu’elle produit sur une mauvaise conscience.
– Mais j’ai aussi entendu que ce que vous avez appelé la vérité avait un rapport direct aux noms qui me sont le plus chers.
– En êtes-vous bien sûr, jeune homme ? lui demanda Ralph en le regardant en face ; n’existe-t-il personne qui vous soit devenu depuis peu plus cher que les auteurs de vos jours ? Parlez, et songez que vous répondez à quelqu’un qui connaît bien la nature humaine.
– Que voulez-vous dire, Monsieur ? Est-il dans la nature qu’on aime quelqu’un autant que ses parents ?
– Ce n’est pas à moi que cette simplicité puérile en imposera. Cette misérable femme qui est là-bas… N’aimez-vous pas sa petite-fille ; puis-je encore me fier à vous ?
– Pourquoi l’honneur serait-il incompatible avec l’affection pour un être aussi pur que Cécile Dynevor ?
– Oui, oui, murmura le vieillard à demi-voix ; sa mère était pure, et pourquoi la fille ne serait-elle pas digne de celle qui lui a donné le jour !
Il se tut ; et un silence, qui parut pénible et embarrassant à Lionel, dura quelques instants ; ce fut Ralph qui le rompit tout à coup, en disant :
– Vous étiez en campagne aujourd’hui, major Lincoln ?
– Vous ne pouvez en douter, puisque je dois la vie à votre généreuse protection. Mais vous-même, pourquoi vous êtes-vous exposé au danger d’être arrêté en revenant à Boston, dans une ville pleine de troupes ? Beaucoup d’autres que moi dans l’armée doivent avoir vu le rôle actif que vous avez joué parmi les Américains.
– Penseraient-ils à chercher leurs ennemis dans les rues de Boston ; quand toutes les hauteurs des environs sont couvertes d’hommes armés ? D’ailleurs ma demeure dans ce bâtiment n’est connue que de cette misérable femme, Abigaïl Pray, qui n’oserait me trahir, de son digne fils et de vous. Mes mouvements sont aussi secrets que rapides ; ils ont lieu au moment où l’on s’y attend le moins. Aucun danger ne peut atteindre un homme comme moi.
– Mais, dit Lionel en hésitant et avec embarras, devrais-je garder le secret sur la présence d’un homme que je sais être ennemi de mon roi ?
– Lionel Lincoln, dit Ralph en souriant d’un air dédaigneux, vous présumez trop de vos forces. Non, vous n’aurez jamais le courage de faire couler le sang de celui qui a épargné le vôtre. Nous nous entendons l’un l’autre, et à mon âge on doit être étranger à la crainte.
– Non, non, dit une voix basse et solennelle partant d’un coin obscur de l’appartement où Job s’était glissé sans être aperçu, vous ne pouvez faire peur à Ralph.
– C’est un brave garçon, dit Ralph avec ce ton vif et décidé qui le caractérisait ; il sait distinguer le bien du mal, que faut-il de plus dans ce monde corrompu ?
– D’où venez-vous, drôle ? demanda Lionel, et pourquoi m’avez-vous quitté si brusquement ?
– Job a été sur la place du marché, pour voir s’il trouverait quelque chose à acheter pour la vieille Nab.
– Croyez-vous me tromper par de telles sottises ? Trouve-t-on quelque chose à acheter sur le marché à une pareille heure ? et d’ailleurs où auriez-vous pris de quoi payer ?
– Voilà qui prouve que les officiers du roi ne savent pas tout. Tenez, voyez ! voici un billet d’une livre aussi bon qu’on en a jamais vu dans la colonie de la baie de Massachusetts, et un homme qui a dans sa poche un billet d’une livre peut aller au marché et y acheter tout ce qu’il veut ; il n’y a pas d’acte du parlement qui le défende.
– Vous avez pillé les morts, misérable ! s’écria Lionel en voyant dans la main de Job quelques pièces d’argent, indépendamment du billet dont il parlait.
– Ne dites pas que Job est un voleur ! s’écria l’idiot d’un air menaçant ; il y a encore des lois dans la colonie, quoiqu’on ne s’en serve guère ; mais le temps viendra où l’on rendra justice à tout le monde. Job a tué un grenadier, mais Job n’est pas un voleur.
– Vous avez donc été payé pour votre message secret, la nuit dernière, jeune insensé ; et vous vous êtes laissé tenter par l’argent au point de vous exposer au danger ? Que ce soit la dernière fois ! À l’avenir, quand vous serez dans le besoin, venez me trouver, et rien ne vous manquera.
– Job ne fera pas de commission pour le roi,
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