Liquidez Paris !
dire ça ? crie l’homme en sursautant. J’ai toujours obéi aux autorités allemandes et je suis un ami du commandant.
– Il est parti, susurre Porta en souriant, mais vois-tu camarade, quand nous aurons quitté le pays, tu devrais dire deux mots à ceux de la maison là-bas ; ils ne t’aiment pas.
– La femme est ma cousine !
– Raison de plus !
« 2 e section, 1 er groupe ». J’écris à la craie sur le vantail de la porte. Celui-là aimera encore davantage les Allemands quand il aura connu Petit-Frère. Jovial, l’homme nous frappe sur l’épaule et nous promet ce qu’il aura de mieux. Dès que nous quittons sa demeure, on le voit boire son calvados au goulot.
– Il est prêt à chier de peur, constate Porta. Un héros en carton. Tout ça des salauds, ils ne me reviennent pas.
– Ça suffit comme ça, dit le Vieux, qu’ils lavent leur linge en famille. Le vainqueur a toujours raison.
Dans la maison suivante, accueil glacé d’un vieux paysan. Sur sa poitrine, la croix de guerre. Nous fouillons la maison et ses yeux nous suivent pleins de haine. Miracle, une baignoire ! Il faut la remplir au seau mais c’est tout de même une baignoire.
– Faut mettre ici une huile, conseille Porta. Ces types-là se lavent le derrière.
Assentiment du Vieux qui installe le commandant. La porte claque sur nos talons. Le maire, petit homme à moustache hirsute nous accueille trop bien et ne manque pas de nous informer qu’il est membre du Parti.
– Donne-lui le hauptfeldwebel Hoffmann, ricane Porta. Il quittera le Parti !
Là-haut, vers le tournant de la route, on aperçoit une maison un peu en retrait qui semble abandonnée. Impossible de se faire ouvrir. Nous renonçons et poursuivons ailleurs la chasse au cantonnement. Tard dans l’après-midi, le bataillon arrive à grand bruit ; tout le monde grogne bien entendu sur son lieu de destination, excepté Petit-Frère, fort satisfait parce qu’il a trouvé une cave assez bien garnie.
– Je vais l’aider, rigole Porta en disparaissant dans un escalier raide.
Je pars tout seul vers la maison d’en-haut, celle qu’on voit juste avant le tournant, et je saute une haie vive : Ici, tout respire la paix, le jardin est plein de fleurs, un seau rouillé se balance au-dessus d’un vieux puits à demi caché sous des plantes grimpantes.
– Que désirez-vous ?
J’empoigne mon revolver, c’est un réflexe habituel ; mais la voix vient d’un fourré, et j’aperçois entre deux arbres un hamac dans lequel se prélasse une jeune femme d’environ vingt-cinq ans. Au loin retentissent des commandements rauques. Une paire d’yeux en amande me contemplent curieusement.
– Que cherchez-vous, monsieur ?
– Je croyais la maison abandonnée. Nous cantonnons dans le village.
La jeune femme saute du hamac ; sa robe évoque une tunique chinoise fendue sur de longues jambes dorées. J’avais oublié qu’une femme pouvait être bien tenue sans rappeler un hôpital.
– J’allais prendre mon café, en voulez-vous une tasse ?
– Vous habitez ici ?
Question idiote mais je ne trouve rien d’autre à dire.
– Oui, mais j’habite aussi Paris. Vous connaissez Paris ?
– Pas encore, je pense que ça viendra bien. Vous êtes mariée ?
Elle a un rire amer :
– Mon mari est en Indochine ou dans un camp japonais. Je n’ai pas de ses nouvelles depuis trois. ans. Etre derrière une mitrailleuse ou un barbelé, quelle autre alternative pour un homme en un temps comme celui-ci ?
Elle a raison. Un temps maudit. Chaque jour, les familles des deux côtés reçoivent des lettres retournées et marquées d’un coup de tampon « Disparu ». Il n’y a qu’à attendre. Certains attendent toute leur vie, d’autres n’ont pas cette patience.
– Croyez-vous que la guerre va bientôt finir ?
Je hausse les épaules. Bien sûr que je le crois, ça fait des années que je le crois. Depuis le début.
– Ici, c’est merveilleux, on peut oublier la guerre mais j’ai peur. Demain je retourne à Paris, je m’y sens plus en sûreté, dans la foule on est anonyme. Pensez-vous que Paris sera déclaré ville ouverte comme Rome ?
Je ne sais pas, je ne savais pas que Rome était ville ouverte, on ne nous dit jamais rien. Un soldat n’a qu’à obéir. Ses mains sont jolies et soignées et touchent la mienne tandis que ses yeux me sourient, puis elle retire mes lunettes noires, mais la lumière me fait tellement mal aux yeux que
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