Liquidez Paris !
qui entre tel un ouragan.
– Alors ? On te cherche partout, qu’est-ce que tu fais, imbécile ? Ce sont les Amerloques qui s’amènent ! On les met et en vitesse ! Madame, à vos ordres. – Il ôte d’un geste large le haut-de-forme jaune, et son unique dent apparaît dans un sourire. – Monsieur a été à la hauteur ? Petit-Frère est saoul comme un million de vaches ! – Il secoue la cafetière renversée. – Bien dommage, c’est vide ! – Et il lèche le fond des tasses. – Marché noir, dit-il d’un ton bref. Si Madame veut me donner l’adresse ? – Son œil perçant enveloppe toute la pièce. – Y a-t-il quelque chose d’utilisable ? Tâche de mettre tes frusques en vitesse ; on est les derniers et « Le Borgne » s’est amené, furibard. Il a sorti le lieutenant Schmidt de son lit en lui défendant d’être blessé. Le feldwebel Mann, de la 2 e , s’est pendu et l’Obergefreiter Gert a filé. Un con. Les gendarmes vont le pincer avant deux heures. Pensais aussi que tu avais mis les voiles. Vingt types sont à tes trousses avec des mitraillettes.
Ce torrent de paroles semble inépuisable, mais la jeune femme se jette à mon cou.
– Reste, murmure-t-elle. C’est de la folie de partir maintenant ! Reste, Sven, je te cacherai.
Elle éclate en sanglots.
Je secoue la tête ; les rêves ne deviennent pas réalité.
– Pourquoi qu’elle chiale ? demande Porta qui se cure les oreilles avec une petite cuillère. Elle a tout ce qu’elle veut, une maison, du pain, du café, et alors ? Allons, madame, sèche tes yeux, les libérateurs arrivent. Y en a pas pour longtemps.
– Allez-vous-en tous, crie la jeune femme en sortant en courant.
– Drôlement bizarre les filles, constate Porta. Doit être à la diète depuis longtemps celle-là, lui faut des hommes, mais si j’étais à sa place, personne dans le plumard avant de faire tinter les gros sous. Serais richard en vitesse.
La compagnie est déjà alignée au beau milieu de la place et il m’est impossible de me glisser subrepticement dans les rangs.
– Vous croyez peut-être que la guerre vous attend ? me crie « Le Borgne » au comble de la rage.
– Il se tortillait avec une poule, susurre Porta d’un air ravi.
– Trois jours d’arrêt fermes, reprend « Le Borgne ». Dans le rang et que je ne vous voie plus !
– Hourrah ! entend-on soudain.
C’est Petit-Frère qui arrive en titubant :
– Hourrah ! Vive « Le Borgne ».
– Bande d’indisciplinés ! gronde € Le Borgne ». Oberleutenant Löwe, en-avant et que ça saute !
Le gros major général se tasse dans sa voiture et disparaît au milieu d’un nuage de poussière.
Löwe redresse sa casquette :
– Espèce d’ivrogne ! grince-t-il à l’adresse de Petit-Frère qui a un hoquet et sourit bêtement.
– Je fais mon rapport humblement : Obergefreiter Wolfgang Ewald Creutzfeldt est saoul comme une vache !
Löwe hausse les épaules :
– Compagnie à droite, droite, regard tout droit.
Un instant, il observe l’ordre de la compagnie, puis cent quatre-vingts hommes en désordre se jettent vers les chars ; on ouvre les écoutilles, mais nous avons tout le mal du monde à y enfourner Petit-Frère qui tombe enfin sur le plancher d’acier, embrasse la culasse du canon, puis se met à ronfler comme une toupie hollandaise. Signal de mettre les moteurs en route. Un tonnerre gronde, ce sont les vingt-cinq moteurs des Tigres qui tournent, mais en moi monte soudain la nostalgie d’un monde que je n’ai jamais connu, d’une maison civilisée, d’une femme raffinée.
– Chars, marche ! commande le Vieux. Direction la grand-route. Armez les canons de grenades explosives. Vérifiez l’équipement électrique.
Avec apathie je presse les innombrables boutons ; le moteur électrique ronfle, lè long canon vire vers l’énorme pare-flammes ; le 503 qui nous précède soulève un tourbillon de poussière et arrache la route goudronnée, les chenilles claquettent, menaçantes. Je presse fiévreusement mon œil contre le rebord caoutchouté de la lunette. Pourvu que les autres ne s’aperçoivent pas de mon trouble, ce serait un enfer ! Qu’ai-je été faire dans cette clos puant l’huile de moteur, la sueur et l’odeur de métal chaud. Finis les rêves, Sven, maison ? Je regarde autour de moi cet espace sans ça on devient fou. Petit-Frère se penche confidentiellement vers moi ; il sent l’alcool à plein nez
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