Liquidez Paris !
l’autre côté de la route gît un Allemand mort. Quel âge a-t-il ? A peine seize ans. L’uniforme sent le dépôt, les bottes sont d’un cuir incolore, on n’a pas encore eu le temps de les teindre. Et revoici les betteraves et les choux-fleurs ; la terre est merveilleusement douce. Pour changer, nous nous remettons à creuser. Deux S. S. qui se sont adjoints à nous s’affairent auprès d’une grosse marmite qu’ils ont branchée sur la batterie d’une voiture ; la marmite est pleine de baies et le couvercle absolument hermétique.
– Etes pas fous ? proteste Heide qui sait toujours tout. Si cette boîte saute, bonsoir Marie !
– Peuhh ! répond l’un des S. S. Tir » n’as pas soif ? Depuis deux jours qu’on essaie de faire du jus, il a toujours fallu filer. Hier on était encore huit, aujourd’hui, on n’est plus que nous deux.
Assis en rond, nous regardons la marmite avec appréhension ; Heide a garé sa personne derrière un camion.
– Qu’est-ce que c’est que vous cuisez ?
– Du sureau avec du sucre, répond le S. S. qui a construit lui-même cette marmite d’un genre nouveau.
– Et ce thermomètre ? demande Petit-Frère curieux.
– Si ça dépasse le trait – rouge c’est dangereux, explique le S. S. avec indifférence.
– T’es dingue ! c’est dépassé depuis longtemps ! crie le géant épouvanté en s’aplatissant au fond du trou.
– Bien possible, mais cette fois faut se presser, les copains vont pas tarder à se montrer.
La marmite bout à plein, la pluie s’est arrêtée ; nous tendons nos gamelles et l’humeur s’améliore. Deux silhouettes drôlement attifées arrivent au pas de course à travers le champ de betteraves.
– Tiens ! rigole Petit-Frère, voilà des libérateurs ! Ils ont senti le jus.
– Il faut les prendre, commande le Vieux.
– Tu parles ! dit Porta. On ne travaille pas après le couvre-feu.
Sans se douter de rien, les deux soldats arrivent sur nous qui les attendons, invisibles, et ils sautent dans notre tranchée.
– Bienvenue dans le quartier, dit Porta en souriant. Arrivez juste pour le dîner.
Ce sont deux Américains, un simple soldat et un caporal. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils reçoivent un choc !
– Des nouvelles de New York ? demande Petit-Frère. Comment va monsieur Eisenhower ?
– Qu’est-ce que vous foutez là ? crie le caporal ahuri.
– Le moins possible, ricane Porta. On vous laisse le soin de gagner la guerre, je vous le jure.
– On nous avait dit que la région était libre !
– Faut jamais croire les faisans dorés. Mentent tous tant qu’ils sont. Servez-vous, ajoute Porta très grand seigneur en montrant le bizarre ragoût.
– Vos amis sont loin d’ici j’espère ? insinue prudemment Heide.
– Parle-moi de ces merdeux ! crie le caporal. Nous deux, on est de la Georgie et on nous a fourrés avec des New-Yorkais, tous des crétins. Viens nous voir en Georgie après la guerre, copain.
Suivent deux heures de mangeaille et de boisson dans une atmosphère qui s’échauffe de plus en plus.
– Et où alliez-vous donc ? demande Porta aux Américains.
– On s’est perdu. Nous étions en reconnaissance et quand on est revenu à ce satané village, la compagnie s’était débinée, alors on a pris à travers champs et on est arrivé sur un chemin qui ressemblait comme un frère à celui qu’on venait de quitter. Tous les chemins se ressemblent dans ce foutu pays, et les haies ça vous rend dingue, impossible de s’orienter ! Seigneur, quelle trouille en vous voyant ! On nous avait dit que vous ne faisiez pas de prisonniers ?
– On dit la même chose de vous, rétorque Barcelona, et c’est vrai qu’il y en a beaucoup qui reçoivent le coup dans la nuque. Un jour, on a trouvé un Churchill et un Allemand attaché à sa tourelle avec du barbelé. Vous pensez ce qu’on a fait de l’équipage !
– Oui, ce genre-là se prend, dit le caporal, mais alors c’est plein d’innocents qui trinquent pour les autres.
Quelqu’un qui avance… c’est le lieutenant Löwe. Vite, Porta pousse les deux prisonniers au fond du trou. Si Löwe les voit, il les emmènera aux Renseignements ; le Vieux se lève, et d’un air candide va au-devant du lieutenant :
– Rien à signaler.
– Installez-vous au village, commande Löwe. Une mitrailleuse suffit comme avant-poste et je ne crois pas à une attaque ennemie ce soir. Reposez-vous
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