Liquidez Paris !
fait le serment de ne plus recommencer. Rendre service, ça ne payait jamais. Pendant huit ans, Gunther Sœst avait été conducteur de chars ; il en avait vu brûler trente-sept sous ses yeux et lui-même, au moins neuf fois, manquait de griller dans son engin. Mais la dixième fois, le destin ne le ratait pas : l’huile enflammée avait transformé son visage en un masque de momie. Sept mois dans un lit d’eau,, et on l’arrachait à la mort, mais la mort s’était inscrite pour toujours sur ses traits. Des mains telles des griffes en parchemin, une fiancée qui l’avait fui, terrifiée, et voilà que ce soir il risquait encore sa vie.
Et pour un Juif ! Communiste, par-dessus le marché, qui rirait peut-être un jour de ce visage de mort. Ce visage, lors des prises d’armes, on ne le montrait pas, les héros ne deviennent pas comme ça. Après la guerre, que ferait Gunther pour vivre ? Peut-être s’engagerait-il dans un cirque ? Autrefois, il était beau et toutes les filles s’accrochaient à lui, mais lors de sa dernière permission, sa mère avait eu une dépression nerveuse et ses deux sœurs n’avaient pu cacher leur horreur ! Gunther n’était resté que deux jours chez lui, puis avait passé le reste de sa permission dans la maison de convalescence de l’armée, à Tols. Là, au moins, beaucoup lui ressemblaient, beaucoup de camarades qui avaient eu le même sort.
On leur interdisait de sortir dans la ville, ce n’était pas une – bonne propagande, mais pourquoi seraient-ils sortis en ville ? Rien qu’à les voir, tout le monde se sauvait. Quelle fille aurait baisé une pareille bouche ? Un trou bordé de chair bleue ? Gunther savait qu’on remodelait des visages mais c’était coûteux. Si l’Allemagne gagnait la guerre, peut-être l’armée lui offrirait-elle un visage et c’était pour ça qu’il se battait, mais si nous perdions la guerre…
La patrouille s’arrêta à l’endroit où le mur tournait. De l’autre côté du mur tomba une corde.
– Saute le mur dès que le projecteur sera passé, dit le petit légionnaire. Tu as trente secondes ; voici une carte d’identité mais il vaut mieux ne pas t’en servir.
Ils se serrèrent contre la muraille, cachant le garçon à l’impitoyable œil de lumière.
– Traverse Paris au galop ; dans deux heures il fait jour. Va à l’église du Sacré-Cœur, à Montmartre, troisième confessionnal, et dis que tu as volé des fleurs dans un cimetière. Le Père te demandera quelles fleurs, réponds des myosotis. Il saura quoi faire.
– Un prêtre ! murmura le jeune communiste.
– Si tu préfères la Gestapo ! ricana le petit légionnaire. Vous autres, Juifs n’en mèneriez pas large si des hommes comme ça ne vous aidaient pas ! Ce qui arrivera ensuite, tu le verras. Allons file !
– Merci camarade, murmura le jeune homme.
Le doigt de lumière passe…
– Grimpe ! siffle le légionnaire tandis que Gunther lui donna un coup d’épaule, mais le garçon est leste comme un écureuil.
En bas, Gunther et le légionnaire arment leurs mitraillettes.
– S’il rate on le descend, chuchote le légionnaire en repoussant la sûreté.
Le doigt de lumière revient… le légionnaire appuie la mitraillette contre son épaule ; à la moindre défaillance, il envoie trente-deux balles dans le corps recroquevillé sur le faîte du mur.
– Ça va y être ! Je tire ! gronde Gunther très nerveux.
Mais au moment où la lumière rase le haut de la muraille, il n’y a plus personne. Le légionnaire laissa retomber sa mitraillette, remit la sûreté, et jeta avec indifférence l’arme sur son épaule. Le Vieux sera content. Ça venait de lui cette idée idiote.
Gunther resta un instant immobile et soupesa son arme d’un air déçu.
– Tout de même, dit-il, ça valait pas le coup.
– Y aura d’autres occasions, fit le légionnaire consolant.
La patrouille continua. Une demi-heure plus tard on relevait la garde. Dans toute la prison, on déclara en chœur :
– Rien à signaler.
Le chef du commando de chasseurs 103, colonel Relling, avait la main particulièrement heureuse. Un de ses grands succès fut l’arrestation du chef de la Résistance, le colonel Touny, et de l’officier du Service secret anglais en France, Yœ-Thomas. La capture de ces deux hommes eut pour conséquence une avalanche d’arrestations dans toute la France.
Après le colonel Touny, le général de Jussieu prit le
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