L'oeil de Dieu
contente de moi ?
Agnes avait les larmes aux yeux, à présent, et Kathryn s’exclama :
— Mais si, voyons, tu me donnes entière satisfaction. Thomasina et Wuf sont-ils gentils avec toi ?
— Wuf est un garnement, et il nous donne du fil à retordre, à Thomasina et à moi.
Kathryn hocha la tête.
— À présent, va au lit.
Comme la jeune servante se hâtait vers la porte, Kathryn la rappela :
— Agnes !
— Oui, Maîtresse ?
— Ne t’inquiète pas pour ta dot. Tout ce qui est à moi est à toi.
La jeune fille soutint le regard de sa maîtresse sans ciller.
— Et puis, qui sait, un jour nous pourrions inviter Wormhair à souper ?
Agnes hocha la tête avant de filer dans le couloir. Thomasina de son côté continuait à s’activer dans la cuisine en chantonnant, évoquant ainsi un énorme bourdon. De temps en temps, elle s’adressait à Kathryn, lui rapportant un commérage entendu dans la rue ; puis elle annonça qu’elle avait l’intention de tirer les oreilles à Goldere pour le punir de son impudence. Elle finit par demander à brûle-pourpoint :
— L’Irlandais a-t-il l’intention de s’installer ici pour toujours ?
— Pourquoi cette question ?
— On le dirait solidement enraciné, déclara Thomasina avec un regard farouche à sa maîtresse.
— Je l’aime bien, répliqua celle-ci, vraiment, Thomasina.
— Il n’est pas comme Chaddedon.
— Par certains côtés, les deux hommes se ressemblent. Comme Chaddedon, Colum est droit et honnête. Cependant, il est différent aussi.
— Il a un sale caractère !
Kathryn poussa un soupir.
— C’est qu’il est en souci. Il se sent impuissant dans ce rôle que lui a dévolu le roi, et il vit dans la crainte qu’on l’assassine.
L’expression de Thomasina s’adoucit, et elle alla s’accroupir auprès de sa maîtresse pour lui tapoter gentiment la main.
— Colum est un soldat, Maîtresse, et un homme de cour qui a la faveur des princes. Si vous scellez votre destin au sien, vous vivrez toujours dans le danger. À présent, venez. Demain, Torquil le charpentier doit passer se faire soigner son bras, et vous savez comme il est douillet.
Kathryn sourit et se leva.
— Apporte-moi de la bryone et un peu de belladone. Et n’oublie pas de mettre des gants !
— Je sais ce que j’ai à faire, rétorqua vertement la servante en se précipitant dans le couloir.
Quelques minutes après, elle revenait avec deux torchons contenant les plantes demandées. Kathryn prit d’abord la bryone avec ses grosses racines tubéreuses. La plante portait encore quelques baies séchées, toutes ratatinées. Kathryn, qui avait, elle aussi, enfilé une paire de gants, enleva les baies et les feuilles, puis elle coupa les tiges dans un mortier et entreprit de les écraser avec un pilon pour en exprimer le jus. Elle s’arrêta, plissant le nez à cause de l’odeur douce-amère qui montait du mortier, et les conseils de son père lui revinrent en mémoire.
« La nature recèle les poisons les plus mortels, avait-il coutume de répéter. J’ai vu plus de gens mourir d’avoir absorbé des plantes vénéneuses que je n’en ai vu rendre l’âme après avoir été blessés à la guerre. Rappelle-toi, Kathryn, la bryone et la belladone sont parmi les plantes les plus dangereuses. »
Kathryn reprit sa besogne. Son père l’avait aussi avertie que le jus de ces plantes pouvait s’avérer mortel même si l’on se lavait les mains après l’avoir touché.
« Je ne puis expliquer pourquoi, disait-il, mais on dirait que la peau respire le poison. J’ai entendu un Arabe à Salerne expliquer comment, mais je n’ai pas très bien compris. »
Kathryn souleva le mortier en bois afin de verser le jus qu’elle avait obtenu dans une fiole. Si elle en diluait une petite quantité dans de l’eau, le mélange servirait à soigner les engelures. Additionné de tanin, le médicament soulagerait la toux, surtout celle des enfants.
Elle prit ensuite la belladone et observa quelques instants ses feuilles ovales d’un vert très sombre, et ses fleurs pourpres en forme de clochettes. Elle commença à la piler. L’odeur qui se dégageait était plus désagréable encore que celle de la bryone, si bien que Kathryn sortit un moment dans le jardin. Elle se demanda quand on lui livrerait de Londres les produits qu’elle avait commandés.
Elle regagna la cuisine pour reprendre sa tâche. Elle pilait la belladone en prenant
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