L'Ombre du Prince
la route.
De temps à autre, lorsque Neb-Amon devait surveiller
un malade qu’il venait de soigner, on l’enfermait avec lui dans un chariot de
bois que tirait un bœuf et Nedjar les suivait sur un âne.
Si le médecin et son serviteur n’avaient pas
été enrôlés dans le corps d’élite de la charrerie royale, c’était justement
pour que Thoutmosis ignorât leur présence au camp avant d’être suffisamment
éloigné de l’Égypte.
En effet, le roi n’avait pas été tenu au
courant de cet enlèvement. Ses fidèles craignaient trop les scrupules de leur
jeune souverain pour l’informer de leurs intentions. Or, il était indispensable
d’éloigner Neb-Amon d’Hatchepsout, celui-ci veillant trop sur sa souveraine
pour la laisser s’enliser dans un traquenard qu’ils avaient hâte de lui tendre.
Depuis le matin, Neb-Amon veillait un soldat
victime d’une chute dans un feu allumé suite à une bagarre avec l’un de ses
compagnons d’armes. Mais le médecin prisonnier était arrivé dans le camp avec
juste sa sacoche médicale emplie de quelques remèdes et, pour l’instant, il n’avait
guère le moyen de soigner le soldat qui lui présentait son dos brûlé.
— Nous resterons à Gaza le temps d’effectuer
quelques accords avec les Judéens et les Babyloniens, fit Sennefer. Nous
marcherons sur Damas dès que nous serons assurés de l’appui de ceux qui nous
prêtent asile.
— M’avez-vous obtenu une audience personnelle
avec le roi ? demanda sèchement Neb-Amon.
— Tel que je vous l’avais promis. Je
viendrai en personne vous chercher et je vous conduirai moi-même devant Sa
Majesté Thoutmosis.
Neb-Amon jeta un œil sombre à l’homme qui l’avait
enlevé pour le traîner jusqu’ici. Puis, sans insister davantage et ne se
préoccupant plus de lui, il se pencha sur l’homme qui souffrait de ses
brûlures.
— Ne bouge pas et reste couché sur le
ventre. C’est encore le seul moyen de ne pas envenimer les brûlures que tu as
sur le dos. Tu m’as l’air d’être un gaillard solide et s’il n’y a pas d’infection,
tu seras sain et sauf dans quelques jours.
— Maître ! s’écria Nedjar en s’élançant
vers Neb-Amon, j’ai réussi à réquisitionner deux jeunes soldats. Ils m’ont aidé
à ramasser quelques feuilles de coloquinte. J’ai aperçu les racines de cette
plante à travers les arbres qui pointaient au-dehors du camp.
— Parfait Nedjar. Avec la poudre de mandragore
qu’il me reste, je vais pouvoir lui faire un cataplasme.
Il se tourna vers l’homme au dos brûlé.
— As-tu mal ?
Le soldat fit la grimace.
— Et bien, demain tu ne sentiras plus
rien.
Il ôta le pansement posé la veille et fit la
grimace. Les brûlures laissaient une trace noirâtre et nauséabonde.
— As-tu déjà combattu ?
— Jamais.
— Alors, nous sommes tous deux des
enfants. C’est la première fois que je suis dans un camp. Je n’ai jamais goûté
la vie militaire. Mais j’avoue que la compagnie de vous tous ne me déplaît pas.
Il se mit à rire. Un rire sonore mêlé d’amertume
et de soumission.
— Sans vous, je ne suis rien puisque mon
travail est de vous soigner.
Le soldat voulut se retourner.
— Non, ne bouge pas avant que je t’aie
administré un peu de cette potion calmante dont il me reste quelques gouttes.
Puis, il lui fit boire le peu d’oxymel resté
au fond du flacon. Après, qu’allait-il arriver ? Il n’avait plus aucun
remède.
Posant ses yeux sur une échancrure dans le
bois du chariot et par laquelle entraient les derniers rayons solaires, il
essaya d’oublier l’image de Séchât et de Rekmirê qui, trop souvent, s’imposait
à lui. Quant au détail qui consistait en son enlèvement, c’était un souvenir
sur lequel il refusait de s’attarder. Il se revit à nouveau sur le chemin entre
son domicile et l’hôpital.
Trois hommes s’étaient précipités sur lui et
avaient enveloppé brutalement sa tête d’un sac immense et noir. Neb-Amon s’était
débattu, mais les hommes étaient forts et, lorsqu’ils avaient ôté le sac, il s’était
retrouvé dans une cellule triste et nue où les hommes l’avaient ligoté et
bâillonné.
Plus tard, ruminant son infortune, Neb-Amon
avait eu l’égoïste satisfaction de voir Nedjar prisonnier à son côté.
Mais il ne pouvait s’empêcher de penser à sa
famille et ne cessait de s’inquiéter. Avait-on appréhendé sa femme et son fils ?
Étaient-ils en vie ? De
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