L'Ombre du Prince
quotidien de la
vie militaire.
La veille, sur la place du palais, avait eu
lieu la cérémonie du porte-étendard. Thoutmosis s’était senti brusquement
investi de tous les pouvoirs militaires.
Un vieux soldat qui avait suivi toutes les campagnes
des Thoutmosis avait fièrement remis le porte-étendard au tout jeune capitaine
Néférouben qui recevait le titre de Grand Sommelier Royal.
Comme il fallait aussi à Thoutmosis un
officier porte-éventail, ce fut Amtou qui fut désigné pour cette honorable
fonction et les fanions furent distribués. Les uns étaient carrés, les autres
triangulaires ou en demi-cercles et comportaient les signes distinctifs des
unités qui composaient l’armée du roi. Couchés à terre, genoux et poignets
touchant le sol, les compagnons du roi avaient reçu leurs titres honorifiques.
Enfin, au petit matin, le clairon sonna, rassembla
les troupes et le défilé commença.
En tête, marchait Néférouben qui portait l’étendard
à l’effigie d’Amon, suivi de ses archers qui précédaient la grosse infanterie
tenant piques et boucliers. Néférouben et Amtou encadraient Thoutmosis aussi
rutilant que son char de combat au timon et à la caisse renforcés. Le poitrail
nu, il portait un gorgerin d’or et de turquoises. Son pagne court laissait
apparaître ses cuisses et ses jambes musclées. L’une de ses mains tenait les
rênes des chevaux, l’autre l’arc et le carquois.
Le long défilé commença. Cheval derrière cheval,
soldat derrière soldat, Thoutmosis rêvant de conquérir la Palestine et la Syrie
jusqu’à l’Euphrate, de briser la puissance du roi Kadesh et d’apporter aux
territoires conquis l’organisation et la gestion des provinces d’Égypte.
Certes, en écoutant la foule délirer et l’acclamer
bruyamment sur son passage, Thoutmosis songeait à l’image pacifique des camps
qu’il avait encore en mémoire. Fini les simulations de guerre, les jeux de
combats, les amusements pour se faire la main. La vraie vie militaire commençait.
Bientôt, avec ses compagnons d’armes, il disposerait
son premier quartier de combat comme le lui avaient montré, en Nubie, les deux
vieux capitaines Khety et Dydou.
Il disposerait dans un grand carré plat
entouré d’arbres si possible et destiné aux tentes des officiers, les
boucliers, les chars, les javelots, les cuirasses et autres matériels de guerre
afin que les scribes des armées puissent faire chaque jour l’évaluation réelle
de la totalité des armes.
À l’arrière de la rangée des tentes, les
chevaux déharnachés piafferaient en mangeant leur fourrage et, plus loin, juste
avant la clôture des arbres, l’armée des fantassins, les bœufs, les ânes tirant
les chariots de bois chargés des stocks de nourriture s’agiteraient en
attendant l’aube suivante.
Thoutmosis rêvait à cette organisation qu’il
avait échafaudée depuis longtemps dans son esprit. Parti du palais et
descendant jusqu’au port, le défilé avait fait un tour complet de la ville,
remontant la grande allée au dallage de pierre qui longeait le temple jusqu’à
la ville de Karnak.
Un périple complet avec cette euphorie en tête !
La guerre ! Le combat ! La gloire ! Oui, Thoutmosis méritait d’être
sacré pharaon à son retour. Le peuple l’ovationnerait plus encore qu’au départ
où sa bravoure était encore à démontrer.
La grande porte ouest des remparts du palais
approchait. Sous les accents des clairons militaires et le balancement des
fanions, le défilé avançait. La porte passée, l’armée se dirigea vers les
autres entrées soutenues par les énormes pylônes du temple. Les roues des chars
crissaient sur le dallage et les sabots des chevaux frappaient le sol en
cadence.
Depuis combien de temps la foule n’avait-elle
pas assisté à un départ militaire ? Le dernier, le plus caractéristique,
avait été celui du père d’Hatchepsout. Khety le lui avait conté dans tous les
détails.
Quand vint la dernière porte des remparts, le
défilé s’arrêta devant l’entrée centrale et Thoutmosis les vit. La Grande Épouse
Royale se tenait aux côtés de sa mère, Hatchepsout. Mérytrê lui fit un signe
alangui. Son ventre n’était pas encore assez gros pour que, de loin, il en
aperçût les premières rondeurs. Elle était vêtue de sa tunique blanche et
portait la lourde perruque aux vautours.
Il fut surpris. C’était la première fois qu’il
la voyait posée sur sa tête. Avait-elle voulu
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