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L'Ombre du Prince

L'Ombre du Prince

Titel: L'Ombre du Prince Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jocelyne Godard
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faire
comprendre que vous avez engagé votre fortune personnelle pour nourrir les
affamés ?
    — Mérytrê ! Ce pays est le tien et,
que tu le veuilles ou non, tu es l’élue des dieux. À ce titre, tu as des
responsabilités à tenir. L’aurais-tu oublié ? Je t’ai inculqué cette
morale et tu ne peux t’y soustraire. Ne l’oublie pas si tu veux porter
dignement le titre de Grande Épouse Royale.
    À ce brusque rappel des choses, Mérytrê
rougit, mais haussant l’épaule, elle poursuivit d’un ton tranquille :
    — Mère ! Nous ne pouvons pas nourrir
tout ce peuple affamé. C’est la loi des riches contre les pauvres. Vous me l’avez
prêché assez souvent.
    — Oui. Tu as raison. Nos provisions sont
encore abondantes et nos greniers à blé sont encore bien remplis. Mais lorsque
Neb-Amon sera de retour, cela m’étonnerait qu’il ne les convoite pas quand,
autour de lui, les gens meurent par milliers.
    — Mais, ces greniers ne lui appartiennent
pas, mère.
    — Non. Mais il rétorquera qu’un bon
pharaon se doit à son peuple et que si son peuple meurt de faim, il doit le
nourrir.
    — Admettons, mère. Mais, si, à notre
tour, nous manquons de nourriture parce que votre médecin l’aura distribuée à
tout le peuple ?
    — Allons, Mérytrê, tu sais fort bien que
nous ne pouvons pas mourir de faim, même si nous ne mangeons que médiocrement.
As-tu peur à ce point du rationnement ?
    Mérytrê haussa les épaules. Quelle absurdité !
Une fille de pharaon, une future reine d’Égypte devait-elle donc se rationner ?
Sa mauvaise humeur aidant, elle résolut de tenir tête à sa mère.
    — Votre protégé, mère, était le médecin
des pauvres et je crains fort qu’il ne choisisse son ancien camp, celui des
déshérités, plutôt que le nôtre.
    — Et bien, fit Hatchepsout excédée, il
choisira les pauvres et nous attendrons que les provisions alimentaires soient
reconstituées pour procéder à ton mariage.
    — Jamais ! s’écria Mérytrê.
    — Jamais ! Et pourquoi jamais ?
S’il le faut, tu ne pourras rien y changer toute princesse que tu es. Pour une
fois, c’est le peuple qui commande. Ne le trouves-tu donc pas assez atteint ?
Allons, ne sois pas aussi égoïste, ma fille.
    — Je suis la future Grande Épouse Royale
et vous êtes ma mère. Nous devons nous démarquer du peuple puisque nous sommes
issues des dieux.
    — Mérytrê, ce mariage n’aura pas lieu
avant que la famine et l’épidémie soient finies. C’est ainsi.
    La jeune fille sentit que l’ordre était lancé
et qu’Hatchepsout ne reviendrait plus en arrière. Elle savait aussi que cette
solution l’arrangeait puisqu’elle devait retarder l’instant où Thoutmosis
réclamerait le trône à lui seul.
    Alors, elle soupira tristement. C’était un changement
de tactique auquel sa mère était habituée. Quand elle n’arrivait pas à obtenir
ce qu’elle désirait, elle jouait la carte larmoyante de la soumission pour
attendrir sa mère.
    — Et bien tant pis, fit-elle en haussant
l’épaule, je serai une si pauvre reine d’Égypte que même Pharaon s’apitoiera
sur mon sort. Je ne pensais pas que c’était là votre aspiration pour moi, mère.
J’avoue que cela me surprend.
    Mais Hatchepsout ne rétorqua rien. Mérytrê n’était
pas assez fine pour comprendre que sa mère était moins préoccupée par la peur
de la famine que par son angoisse de perdre la couronne des deux pays. Or, la
menace d’abdication prendrait toute sa force lorsque sa fille serait l’épouse
du prince.
    Hatchepsout se taisait. L’abdication ou la
mort ? Que pouvait lui importer désormais de mourir par la faim, le poison
ou le sang ?
    Elle désira soudain changer de conversation
et, glissant son regard sur les joues de sa fille, elle remarqua qu’elles
avaient repris de la pâleur et que l’œil réjoui de tout à l’heure était
redevenu sombre.
    La perspective plus réjouissante de la
servante qui tendait un plateau de fruits secs parmi lesquels figuraient
toujours quelques grenades fraîches leur fit abandonner le sujet brûlant de
cette conversation.
    Puis, un coup discret frappé contre la porte
les détourna complètement de leur désaccord. Aïcha, une jeune fille dénudée
jusqu’aux seins, souple et gracieuse, pénétra silencieusement dans la pièce.
Elle remplaçait Yaskat depuis que celle-ci avait été reléguée par Mékyet et
Seddy au pavillon des contagieux. En ce temps de perturbation

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