L'Ombre du Prince
la déplacer.
Demandez aux gardes qui vous aideront d’attendre votre retour. Ils reboucheront
l’issue après.
Puis, elle fit un signe aux deux hommes pour
signifier que l’entretien était terminé.
Restée seule, elle eut un instant le désir de
faire appeler sa fille. Mais elle réfléchit et pensa que, tout compte fait, il
était préférable qu’elle la vît après son entretien avec Pouyemrê.
Hatchepsout savait comment se passerait l’entretien.
Mérytrê allait la saouler de paroles insignifiantes, lui parler de son futur
mariage avec le prince, se plaindre des restrictions de toutes sortes
auxquelles elle devait s’astreindre, toute princesse qu’elle était et, surtout,
la questionner sur ses intentions d’abdiquer. Or, Hatchepsout n’avait aucune
intention d’abandonner sa couronne.
« Allons ! pensa-t-elle. Quand
Pouyemrê m’aura réconfortée sur la solidité du trésor de l’État, quand il m’aura
assurée que, une fois marié à Mérytrê, le conseil enverra Thoutmosis guerroyer
à l’étranger, je pourrai tenir encore longtemps les rênes du pouvoir et m’endormir
sereine quelques nuits encore. »
Deux heures plus tard, Pouyemrê faisait son
entrée. Grand, svelte, encore bel homme avec sa puissante stature et sa
chevelure argentée sur laquelle il n’avait pas posé de perruque, l’Intendant
des Finances se courba devant Hatchepsout.
La pharaonne vint à lui en souriant. Elle lui
tendit ses mains longues et fines. Aucune perle ne venait en distraire la
minceur.
— Qu’il m’est agréable de te voir en ces
tristes moments, dit-elle presque joyeuse. Ah ! Pouyemrê, mon ami. L’un
des rares qui me restent.
Comme il restait le buste ployé sur sa main qu’elle
lui tendait toujours, elle ajouta :
— Je t’en prie, pas de cérémonie entre
nous, surtout en ce moment. Aucun autre dignitaire ne nous voit et mon personnel
est plutôt restreint. Ta famille a-t-elle été touchée par le mal qui ronge les
plus faibles ?
Pouyemrê hocha la tête.
— Le vieux père de mon épouse est décédé
la semaine dernière. Mais son âge était suffisamment critique pour qu’il
quittât cette terre sans qu’intervienne ce terrible fléau.
— Et les réserves ?
— Au début, j’ai distribué de la
nourriture à tous ceux qui venaient frapper à notre porte. Puis, lorsque les
vivres ont commencé à diminuer, nous avons donné de moins grandes quantités. À
présent, mes greniers sont à moitié vides et s’il ne me restait les jarres de
bière et de vin, nous n’aurions plus de boisson, car l’eau me manque comme elle
manque à tous.
— Hélas, mon pauvre Pouyemrê, il va en
être de même en ce qui me concerne, car les survivants de Thèbes sont entrés
dans les jardins du palais et ne veulent plus en sortir. Nous allons être
obligés de les nourrir.
— Que disent vos scribes ?
— Ils ont compté nos sacs de céréales, de
pois et de fèves, nos réserves de viande, de poisson et de fruits séchés.
Certes, mes greniers personnels sont emplis de nourriture, mais à présent, il
faut compter le nombre de têtes qu’il faudra nourrir, à raison d’un pain, d’un
oignon et d’un bol d’eau par personne et s’ils ne sont pas en nombre trop
excessif, peut-être bénéficieront-ils, de temps à autre, d’une coupe de lait
caillé et d’un morceau de lard.
Elle hocha tristement la tête et conclut :
— Hélas, c’est tout ce que je peux faire
pour remédier à cet état de fait. Mais dis-moi, comment les choses se présentent-elles
dans le Nord ? Peut-on y circuler ?
— À Memphis, on dit que l’épidémie est
arrêtée. À Thèbes, elle devrait s’enrayer d’ici quelques semaines.
— En es-tu sûr ?
— Hélas non, mais quelques signes le présagent.
— Alors dès que la crue va démarrer et
que les eaux vont remonter, il faut envoyer deux ou trois navires en direction
du delta, vers Tanis, Bubastis, Avaris, Byblos et s’il le faut vers les pays de
Canée et ceux du Proche-Orient. Mon père et moi avons toujours entretenu de
bons rapports avec nos voisins du Nord et de l’Est. Nous les avons suffisamment
soutenus pour qu’ils nous viennent en aide à leur tour. D’autant plus que nous
allons leur payer généreusement cet échange.
— De quel échange parlez-vous, Majesté ?
— De l’or contre du blé en abondance.
Pouyemrê acquiesça de la tête, mais ses yeux marquaient
un désaccord. Il marcha le long d’un
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