L'Ombre du Prince
sofa d’osier, en fit le tour tout en
réfléchissant et revint devant la reine.
— Les caisses de l’État sont suffisamment
pleines. Tu l’as dit toi-même lors de la dernière assemblée.
Voyant que son intendant hésitait, elle reprit :
— Je sais que tu n’aimes pas dépenser
inconsidérément les deniers de l’État, Pouyemrê. Mais cette fois, il le faudra
bien. Jamais encore un cas n’a été aussi tragique.
Comme l’Intendant des Finances méditait avant
de donner son avis, elle se prit elle-même à réfléchir, puis jeta :
— Qu’est-ce qui te fait hésiter ?
— La prochaine assemblée, lança Pouyemrê.
On va me reprocher ces dépenses. Or, ce n’est guère le moment. Vous savez bien,
Majesté, qu’Antef et ses amis nous attendent de pied ferme.
— Mais, il s’agit de sauver notre peuple.
— Quand tout sera rentré dans l’ordre,
Antef se fera un plaisir de réclamer une enquête sur les dépenses consécutives
à la famine. À mon sens, Majesté, il faut déléguer un comité qui comprend des
scribes attachés à Antef et d’autres qui vous sont personnels.
— Ainsi, les uns pourraient contredire
les autres et, dans cette affaire, tout resterait flou. Et là, Pouyemrê, je ne
suis pas d’accord avec toi. Si nous ne pouvons prendre de l’or en suffisance
dans les caisses de l’État pour nourrir ces pauvres affamés, je compenserai
avec l’or de mes propres coffres.
— Majesté !
— C’est ainsi. Dans quelques jours, je te
ferai connaître le montant de mes propres besoins calculés au minimum et je
pourvoirai à l’excédent, même s’il me faut vendre des colliers et des parures.
Mais, il ne sera pas dit plus tard que, moi, Pharaonne de la haute et de la
basse Égypte, j’ai laissé mourir mon peuple.
*
* *
Quand Hatchepsout eut évalué les dépenses à
prendre sur l’État et sur son propre compte pour atténuer les tristes
conséquences de la famine et que ses ordres furent donnés quant au prochain
voyage de Pouyemrê, à qui elle donnerait les plus gros vaisseaux de la flotte
royale pour marchander son or contre des céréales, elle fit venir sa fille.
Comme à l’accoutumée, Mérytrê arriva indolente,
rêveuse, ne pensant qu’au retour de Thoutmosis qui devait augurer leur mariage.
Après avoir déposé un baiser léger sur la joue de sa mère, elle alla s’asseoir
à ses pieds sur un coussin moelleux aux dessins colorés. Puis, elle appuya sa
tête contre le dossier en bois d’acacia qui surélevait le siège d’Hatchepsout.
La reine prit la main de sa fille.
— As-tu aperçu ces pauvres Thébains affamés
venus se réfugier au palais ? fit-elle à sa fille en guise de bienvenue.
— Oh ! Mère, que cette histoire est
triste et comme elle me déprime. Parlons d’autre chose, voulez-vous ?
— D’autre chose ! Mais n’es-tu pas
également concernée par ce fléau qui se resserre de jour en jour et qui risque
d’entraîner l’Égypte vers des jours très sombres ?
— Bien sûr, mais qu’y puis-je ?
Puis, redressant son buste et changeant délibérément
de conversation, elle questionna d’un ton léger :
— Mère, si cette famine et ses tristes
conséquences sont hélas évidentes, il n’en reste pas moins que le retour de Thoutmosis
s’annonce dans quelques mois. Avez-vous prévu les festins et les réjouissances
qui se tiendront pour les festivités de mon mariage ?
Hatchepsout soupira et observa sa fille. Elle
paraissait détendue, inconsciente, projetée en dehors des problèmes qui se
posaient actuellement pour l’Égypte. D’ailleurs, sa prunelle qui restait
toujours terne se posait étonnée sur le visage de sa mère.
— Je crains, ma fille, que nous ne soyons
obligées de retarder ce mariage. La famine qui sévit sur notre pays ne peut
guère favoriser les dépenses qu’il faudra engager.
— Mais nos greniers sont pleins de
nourriture et je sais que les barils de vin, d’huile et de bière ne sont pas
encore entamés.
Elle pivota d’un geste sec sur elle-même et se
retourna vers sa mère :
— Les dépendances du palais regorgent de
canards, d’oies et de sarcelles qui ont été plumés, vidés et salés pour les
temps à venir. Pourquoi n’en profitons-nous pas ?
— Ton désir est bien égoïste, ma fille,
quand je viens de donner une partie de mon or personnel pour acheter du blé aux
pays étrangers afin de secourir notre peuple.
— Quoi ! Voulez-vous me
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