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L'Ombre du Prince

L'Ombre du Prince

Titel: L'Ombre du Prince Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jocelyne Godard
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le
retour des douleurs.
    Alors que la lourdeur des événements pesait de
plus en plus, tout changea brusquement et s’enclencha très vite.
    — La naissance est proche, murmura Neb-Amon.
    Hapouseneb regardait le visage exsangue de sa
compagne.
    — Il faut la soulever. Peux-tu m’aider ?
    Le Grand Prêtre acquiesça et ils prirent
Méryet chacun par une épaule. Le sursaut la fit vomir et elle éclaboussa le sol
d’un liquide jaune et filamenteux.
    — Elle doit avoir soif. Que peut-on lui
donner ?
    — Il vaut mieux la faire boire après l’accouchement.
    Un nouveau cri de douleur plongea Hapouseneb
dans la crainte. Mais le Grand Prêtre savait cacher ses impressions et il ne
faiblit pas, soutenant fortement Méryet par les épaules et s’efforçant de la
maintenir dans une position debout comme l’exigeait la tradition ancestrale égyptienne.
On plaçait des briques sous les pieds de l’accouchée afin d’élever le
bas-ventre au niveau de celles qui attrapaient l’enfant quand il sortait.
    Mais il ne fut pas question de placer les
briques sous les pieds menus de Méryet, des petits pieds agiles et aériens dont
les envolées avaient bien souvent séduit ceux qui regardaient ses danses avec
admiration.
    Méryet était trop faible pour supporter l’effort
de lever genoux et jambes. La sueur collait à son front et des mèches rebelles
et mouillées tombaient dans son cou. Ses yeux étaient ouverts, pourtant elle
semblait ne rien voir. Ils fixaient avec une désolation déconcertante le grand
mur blanc recouvert d’une tenture ocre en fibre de papyrus.
    Neb-Amon vit une ombre se faufiler entre le
mur et l’ouverture de la porte. Pourtant, il se rappelait l’avoir fermée en
écartant les accoucheuses. L’ombre était petite, difforme, silencieuse. L’instant
réclamait trop sa vigilance pour qu’il y portât attention et ses yeux revinrent
au corps de Méryet qu’Hapouseneb et lui avaient peine à retenir et qui se
convulsait sous la douleur.
    Soudain, elle se laissa fléchir sur les
genoux.
    Entre deux cris, elle pleura. Éveillée, cette
fois, elle prit conscience de son infortune. Elle vomit encore. Son ventre fut
éclaboussé d’une fétide humeur jaunâtre. À genoux, elle ne pouvait plus se
lever. Neb-Amon lui releva la tête. Elle avait fermé les yeux, mais les rouvrit
pour murmurer.
    — Hapou…
    Puis, la bile qu’elle vomit devint noire, visqueuse,
nauséabonde. Elle voulut encore parler. Un nouveau flot sortit de sa bouche,
mêlé d’un épais sang brunâtre. Ses yeux se révulsèrent, sa poitrine se souleva
en un long gémissement, un cri qui appelait les dieux du temple qu’elle avait
tant voulu vénérer. Une douloureuse exclamation qui les exhortait à l’élever au
plus haut dans l’au-delà.
    Elle rendit l’âme à l’instant même où l’enfant
tombait dans les mains tremblantes d’Hapouseneb.
    Le Grand Prêtre restant sans réaction, Neb-Amon
lui prit brusquement l’enfant pour l’agiter tête en bas. Il annonça sa venue en
poussant un grand cri de colère.
    Soulagé, il retourna le bébé entre ses mains
et regarda Hapouseneb qui pleurait, penché sur le corps pantelant de Méryet. Il
lui toucha doucement l’épaule et lui tendit l’enfant.
    — C’est une fille. Dès maintenant il faut
chercher le moyen de la nourrir.
    Le Grand Prêtre d’Amon hésita. Puis, avec une
lenteur infinie, il se leva, observa la fillette et la reprit pour la serrer
tendrement contre lui.
    — La vie reprend, Hapouseneb, fit
Neb-Amon en entourant à nouveau ses épaules de son bras amical. Ce bébé arrive
dans une époque bien critique. C’est risqué de naître en ces jours de famine où
l’épidémie s’attaque à la fragilité des enfants.
    — Je suis anéanti. Que proposes-tu ?
    — Laisse-le-moi quelque temps. Au palais,
je vais lui trouver une nourrice jeune, saine, non contaminée par cette satanée
maladie qui sévit à chaque tournant de rue. Seul, tu n’as aucune chance de
sauver ce bébé. Et puis…
    — Et puis… répéta le Grand Prêtre qui émergea
de sa tristesse. Que veux-tu dire ?
    — Que des ombres rôdent autour de toi.
    — Je le sais. Le crépuscule d’Hatchepsout
arrive. Il est temps que je me retire. Mes successeurs guettent mes faux pas,
mes erreurs, mon départ. Ils n’auront de cesse jusqu’à ce que je démissionne ou
meure.
    Il caressa la petite tête encore poisseuse de
l’enfant et s’attarda sur le duvet qui recouvrait le

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