Londres, 1200
être reconnus par une assemblée de barons anglais.
Philippe Auguste balaya d’un regard triomphant ses
invités. Frère Guérin restait impassible, mais le roi connaissait bien cette
attitude. Guérin était en train d’échafauder de multiples moyens pour faire
reconnaître Arthur roi d’Angleterre. Une fois, Philippe s’était moqué de son
chancelier en lui disant qu’il était capable de penser de plusieurs façons en
même temps.
— Pourquoi Burgho aurait-il gardé ce
testament ? demanda Montfort avec brusquerie. Son roi ne lui avait-il pas
ordonné de le détruire ?
— Une garantie, répondit Cadoc dans un
dédaigneux sourire d’évidence. J’aurais fait pareil !
— Oui, approuva le roi. Une protection contre
la fourberie de Jean, tout simplement !
— Où serait ce testament, maintenant ?
demanda Guillaume aux Blanches Mains.
— Avant de le retrouver, pensez-vous qu’il
puisse faire changer d’avis l’assemblée des barons, Monseigneur ? demanda
frère Guérin.
— Possible… Il faudrait en connaître les
termes exacts et savoir qui était témoin et qui a signé. Quoi qu’il en soit, ce
serait une arme redoutable contre le roi Jean.
— Une arme, en effet, approuva le roi.
Furnais, pensez-vous découvrir où est ce parchemin ?
— J’y ai réfléchi, sire. Selon moi, Burgho ne
peut l’avoir gardé en Angleterre. Ce serait trop dangereux, si Jean
l’apprenait. Donc il a dû le confier à un tiers.
— Quelles sont nos chances de le
découvrir ?
— Pas totalement infimes, sire. Je dirais
même, en corrigeant le proverbe : Chance vaut mieux que bien jouer, qu’une touche d’habileté pourrait faire basculer les dés du côté de mon
seigneur duc de Bretagne. Mon cousin m’a indiqué le nom de deux clercs qui ont
suivi Hubert de Burgho dans le Somerset. Selon lui, moyennant quelques dizaines
de marcs d’argent, je parviendrais à les convaincre de me confier ce qu’ils
savent.
— Vous aurez les sommes nécessaires, décida
le roi, et je vous porterai assistance pour découvrir où est ce testament.
Ensuite, il faudra l’acheter, le prendre, ou le voler. Nous verrons cela en son
temps. Mais il serait inutile de trop en faire si Jean détient solidement le
pouvoir. Qu’en sais-tu, Guillaume ?
— La position du roi d’Angleterre est
fragile, sire. Ce royaume n’applique pas la loi des Francs, comme nous, et les
règles de succession y sont incertaines. D’après l’archevêque de Cantorbéry, le
roi doit être choisi par le souverain précédent mais surtout être élu par un
conseil des barons. Avant l’élection, l’archevêque avait déclaré à
l’assemblée : Nul n’a de royaume en succession par droit acquis, s’il
n’est élu unanimement, sous l’invocation de la grâce de l’Esprit Saint, par la
totalité du royaume. Selon lui, cette loi est gravée dans le Livre saint.
Il a pris l’exemple de Saül, le premier roi sacré que le Seigneur a mis à la tête
d’un peuple sans qu’il fût fils de roi, ni même qu’il sortît de race royale,
puis celui de David, qui fut roi parce qu’il était brave, car celui qui est
au-dessus des autres par la bravoure doit l’être par le pouvoir et l’autorité.
Quelques-uns sourirent dans la salle, car Jean
était tout sauf brave. Quant à Philippe Auguste, il resta impassible,
désapprouvant cette idée d’élection.
— Ces deux règles ont été respectées, puisque
Jean avait été choisi par Richard. L’archevêque a alors précisé que le noble
frère de l’illustre Richard Cœur de Lion était comme lui prudent, brave et
manifestement de noble race. Qu’il devait donc être élu unanimement sous
l’invocation de la grâce de l’Esprit Saint, tant à raison de ses mérites que de
son origine royale. Mais la cérémonie terminée, après que Jean eut juré à ses
barons qu’il conserverait leurs privilèges, quelqu’un a discrètement demandé à
l’archevêque pourquoi il avait tenu un discours si ambigu. Celui-ci a répondu
qu’il avait des pressentiments secrets, confirmés par des prophéties, que le
roi Jean ferait honte un jour à la couronne et au royaume d’Angleterre, et
qu’il précipiterait ses sujets dans un abîme de maux. Par conséquent, pour
restreindre sa liberté d’agir, il était bon de lui faire entendre qu’il n’était
roi que par élection et non par droit héréditaire.
— L’archevêque de Cantorbéry est un homme
d’un sens profond,
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