Londres, 1200
vôtres se sont réunis publiquement la première fois. C’est au
moins ce que l’on m’a dit. D’ailleurs, Guillaume de Roquezel, l’évêque de
Béziers, soutient la pureté de votre dogme.
— Notre foi est autorisée partout dans le
comté ? demanda timidement Enguerrand.
— Partout, je ne sais pas, mais les vôtres
sont nombreux et tolérés. On les appelle ici les bons hommes, ça vous le
savez, mais on les nomme aussi Agenois et Albigeois. Et bien sûr
aussi cathares et tisserands. Mais quand j’ai quitté Saint-Gilles, il y a
quelques mois, j’ai appris du comte Raymond que le pape l’avait sommé de
chasser vos religionnaires. Rassurez-vous quand même, Raymond de Saint-Gilles
ne se laissera pas faire. Trop de seigneurs suivent désormais votre foi, et de
nombreux évêques vous sont favorables.
— On nous accepte ici, tandis qu’on nous
pourchasse ailleurs. Cela ne signifie-t-il pas que le Diable est moins puissant
dans ce pays ? demanda Noël de Chapeaux.
— Je ne sais pas, soupira Guilhem. Je crois,
hélas, que le Diable est puissant partout. Mais les seigneurs du Midi veulent
certainement plus qu’ailleurs se dégager de la puissance de Rome. Sans doute
trouvent-ils aussi votre dogme plus clair que celui des catholiques pour comprendre
la violence et l’injustice dans lesquelles on vit. Peut-être aussi sont-ils
plus tolérants. N’imaginez pas pourtant que vous serez en sécurité. On m’a
raconté qu’il y a quelques années s’est tenu un concile près d’Albi. Les
seigneurs et les évêques voulaient entendre et juger la conduite des bons
hommes. C’est d’ailleurs depuis ce temps qu’on vous a appelés Albigeois. À
ce concile étaient présents l’archevêque de Narbonne, les évêques d’Albi, de
Nîmes, de Lodève, de Toulouse ainsi que le seigneur Trencavel. Après avoir
interrogé vos coreligionnaires, l’évêque de Lodève avait conclu qu’ils étaient
hérétiques et interdit aux seigneurs de vous protéger. Plusieurs cathares
furent arrêtés et brûlés vifs, sans pour autant empêcher votre religion de s’étendre,
bien au contraire, car les victimes étaient devenues des martyrs.
« Quelques années après ces persécutions, une
grande partie de la noblesse toulousaine avait adopté vos croyances et les
Albigeois étaient si nombreux que le pape nomma l’abbé de Clairvaux comme légat
avec le droit d’excommunier ceux qui ne se soumettraient pas à Rome. L’abbé
vint à Toulouse où il fut accueilli par des huées, les habitants le traitant
même d’apostat et d’hérétique. Il parvint pourtant à rassembler
une armée et mit le siège devant Lavaur, une ville près d’ici où vos
religionnaires sont nombreux. Lavaur aurait facilement résisté si la propre
femme du vicomte Roger n’avait ouvert les portes aux assiégeants.
« Ce revers décida le vicomte et les
seigneurs de la province à céder à l’orage et à renoncer à l’hérésie. La
plupart des Albigeois abjurèrent donc leurs doctrines. Seulement, à peine
l’abbé de Clairvaux était-il parti que votre religion s’est rétablie.
« Le vicomte Roger est mort peu après ces
événements, ainsi que le père du comte de Toulouse. C’est à ce moment que je
suis arrivé dans ce pays [25] .
Votre nouveau vicomte, Raymond Roger, le neveu du comte de Toulouse, est un
homme tolérant. Je crois sincèrement qu’il vous défendra.
« Je vous ai parlé de la vicomté de Béziers, de
Carcassonne et d’Albi, où vous allez vivre et où se trouve le plus grand nombre
des vôtres, mais Toulouse a encore un vassal important, c’est le comte de Foix.
Raymond Roger est un seigneur rude qui dispute souvent son suzerain au sujet de
ses droits. Sa sœur, Esclarmonde, est convertie à votre religion. On dit même
qu’elle veut devenir Parfaite [26] ,
aussi vos religionnaires sont-ils nombreux et protégés dans ce comté.
« Les autres grands fiefs dont Toulouse est
suzerain sont le comté de Montpellier, lequel par mariage appartient au roi
d’Aragon mais que revendique aussi le Saint-Siège, et enfin le Rouergue et le
Quercy. Duc d’Aquitaine, Richard Cœur de Lion prétendait à la suzeraineté sur
ces terres mais y a renoncé quand sa sœur Jeanne a épousé Raymond de Saint-Gilles.
Il y a aussi des bons hommes là-bas, mais ils sont moins nombreux.
La ville d’Albi s’étendait sur la rive gauche du
Tarn. Cent cinquante ans avant notre histoire, le vicomte avait
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