Londres, 1200
capitaine.
— Vous ne risquez plus rien, rassurez-vous.
Quant à ce qui s’est passé, voilà la vérité…
Il raconta l’assassinat de Mathilde, tuée par
Mercadier qui voulait se venger de Robert de Locksley, son vieil adversaire,
puis la bataille dans la maison du chef brabançon.
— … L’évêque Hélie a dû prévenir son frère,
et la suite vous la connaissez.
Le capitaine ne demanda rien d’autre, priant
silencieusement le ciel pour que l’affaire en reste là.
La brise restait régulière, mais le reflux était
de plus en plus puissant, comme si l’estuaire était un grand bassin qui se
vidait. La terre s’éloigna vite, se transformant en une masse brumeuse. À la
nuit tombante, ils jetèrent les ancres dans l’estuaire, près d’un groupe de
nefs marchandes.
L’équipage et les voyageurs s’assirent sur les
tonneaux du pont pour souper et vider quelques flacons de vin. Guilhem raconta
à nouveau ce qui s’était passé, car le pilote et les marins voulaient en savoir
plus. Puis chacun s’installa pour la nuit, bercé par un clapotis rassurant
tandis que l’obscurité s’étendait.
La nef rencontra la houle du large le lendemain.
Le vent était favorable et rapidement ils furent séparés des autres navires.
Puis la terre s’évanouit, ne laissant qu’une lointaine et vague ligne de
rivage. Malgré cela, le pilote restait vigilant, car les bancs de sable étaient
en perpétuel mouvement.
Ayant laissé la barre à un de ses marins, le
capitaine rejoignit les voyageurs sur les passavants. Tous voulaient connaître
la durée de la traversée.
— Parti de Portsmouth, il m’est arrivé de
rejoindre l’estuaire en six jours, expliqua maître Berthomieu, mais c’est
souvent plus long dans l’autre sens. Le plus difficile sera de franchir le cap
de Saint-Mathieu en Bretagne où les eaux sont toujours agitées. Et une fois à
Portsmouth, il faudra encore cinq ou six jours pour être à Londres. N’espérez
donc pas arriver avant trois ou quatre semaines.
— Quatre semaines serrés ici ! s’exclama
Bartolomeo, atterré, en désignant le pont dont il avait déjà fait le tour des
dizaines de fois.
— Rassurez-vous, je navigue toujours au plus
près des côtes et tous les trois jours, parfois plus souvent si la mer est
mauvaise, j’entre dans un port pour faire de l’eau et m’approvisionner. Vous
pourrez mettre pied à terre quelques heures.
Il ajouta en les voyant grimacer :
— Mais tout dépend du vent. Qu’il nous soit
défavorable et les quatre semaines se transformeront en huit.
Chacun prit dès lors son mal en patience,
s’occupant comme il le pouvait. Robert de Locksley restait avec son épouse.
Jehan taillait des morceaux de bois comme un marin le lui avait appris.
Bartolomeo jouait de la flûte ou s’amusait à grimper dans la vergue. Cédric
s’initiait à la navigation et Ranulphe restait seul, songeur, souvent accoudé
au bastingage à regarder la mer.
Un matin, Guilhem alla le trouver et il surprit
des larmes dans ses yeux. Il crut d’abord que c’étaient les embruns, mais il
n’en était rien. Pour la première fois, l’écuyer lui demanda comment son cousin
était mort. Guilhem lui raconta le combat et Ranulphe avoua que Regun lui
manquait, mais il ne parla pas de Mathilde.
L’équipage, lui, n’avait aucun repos. La
grand-voile devait perpétuellement être orientée pour prendre le vent
correctement et, suivant sa force, ils ajoutaient ou retiraient les bonnettes,
une opération difficile lorsque soufflaient les bourrasques. Quant à la voile
latine du premier mât, deux hommes devaient rester à la manœuvrer et obéir
rapidement aux ordres du pilote ou du capitaine quand la brise tournait.
À ces difficultés s’ajoutaient les courants, parfois
violents à proximité des côtes. Plus d’une fois, ils durent utiliser les ancres
pour des manœuvres délicates.
Malgré cela, la nef fila à bonne allure et ils
entrèrent dans le port de La Rochelle quatre jours après leur départ. Le
capitaine s’occupa des approvisionnements et les passagers passèrent une nuit
presque complète dans une hôtellerie du port. On vint les chercher avant
l’aube, au moment du reflux.
Le voyage se poursuivit sans incident et sans
jamais perdre la côte de vue. Ils passèrent entre l’île d’Yeu et la terre et
firent une nouvelle étape dans la baie de Noirmoutier pour se réapprovisionner.
Ensuite le vent fut moins favorable et les
Weitere Kostenlose Bücher