Londres, 1200
pourrait bien nous
dénoncer, tout saxon qu’il est. Attendons de le connaître un peu.
La discussion en resta là et ils passèrent par la
cour pour pénétrer dans la plus grande des salles. À l’entrée, ils furent
accueillis par un chaleureux brouhaha de cris et de chansons avinées.
C’était une pièce noircie par la fumée, au sol en
terre battue recouvert de paille boueuse. Sur leur droite se trouvait un
immense foyer entouré de pierres plates et de fosses à feu servant de four pour
cuire les pâtés. Il n’y avait pas de cheminée mais seulement un trou béant
traversant la toiture en passant entre les chambres et le solier. D’un grand
linteau de pierre noirci pendaient des crémaillères auxquelles étaient
suspendus des chaudrons et des marmites. De l’autre côté de l’âtre, des
marmitons surveillaient des broches sur lesquelles étaient enfilés canards et
pigeons. D’autres remplissaient les écuelles et les poêles qui chauffaient sur
les fosses à feu, d’autres encore plumaient des volailles. Dans la salle, les
servantes se bousculaient dans un joyeux désordre pour porter plats, soupières
ou remplir hanaps et pichets d’ale tiède.
Il y avait une dizaine de grandes tables couvertes
de nappes dont l’une était occupée par quelques marchands. Les voyageurs
s’installèrent avec eux.
L’aubergiste, qui les avait vus entrer, vint en
personne les servir. Il venait de faire ses comptes avec le capitaine du
navire, lequel lui avait dit que ses passagers connaissaient la duchesse
Aliénor. Le marin avait ajouté qu’ils devaient être bien traités, car c’étaient
de rudes combattants qui l’avaient sauvé des pirates. De plus, ils ne
manquaient pas d’argent.
Locksley demanda à l’hôtelier ce qu’il avait de
meilleur pendant qu’une souillon déposait sur leur table plusieurs pots d’ale,
cette épaisse cervoise faite à partir d’orge. Cédric et Ranulphe vidèrent
aussitôt leur hanap avec une visible satisfaction, mais Anna Maria, l’ayant
goûtée, demanda du vin frais.
Autour d’eux, les marchands parlaient en langue
anglaise et saxonne mêlée de quelques mots français. Guilhem ne comprenait pas
tout, devinant quand même qu’ils tempêtaient contre les taxes du roi Jean qui
les étouffaient. Mais c’étaient des récriminations de boutiquiers qu’on
entendait partout, même en France.
Après avoir expliqué qu’il était saxon, mais pas
ses compagnons, Locksley leur demanda en français si la situation était pire
que sous le règne de Richard. Les marchands parurent alors en profond
désaccord. Certains d’entre eux avaient dû débourser une forte somme pour payer
la rançon du Cœur de Lion et juraient qu’elle les avait ruinés. D’autres
assuraient que Richard n’avait jamais pressuré son peuple comme Jean le faisait,
mais ceux-là venaient de Normandie.
La discussion s’arrêta quand on leur porta un
potage de froment et d’œufs. Ensuite ce fut une soupe grasse aux poireaux avec
de l’agneau bouilli servi sur d’épais tranchoirs de pain de seigle trempés dans
du vin.
Ils avaient presque vidé leurs écuelles quand
l’aubergiste vint les interroger pour savoir s’ils étaient satisfaits. Robert
de Locksley en profita pour lui demander si le prince Jean était à Londres.
À ce nom, le cabaretier cracha par terre.
— Par la barbe de mon aïeul, que le ciel nous
en protège ! Ce démon ne nous a apporté que la ruine et le malheur !
— Vous êtes saxon ! lui reprocha
Locksley en plaisantant.
— Et j’en suis fier, seigneur ! Mais je
vous jure par saint Dunstan que je n’ai rien contre les Normands tant qu’ils
payent leur repas et qu’ils ne me rapinent pas.
— Je te crois, l’ami, je suis saxon
aussi ! poursuivit Locksley dans un rire, mais dis-moi, qui est en ce
moment à la Tour ? J’ai entendu dire que beaucoup de Normands étaient
invités au mariage de la nièce de Jean, à la fin du mois.
— Je sais que le mariage aura lieu le 23 mai
et que notre maire, Henry FitzAilwyn, s’y rendra. Quant aux seigneurs de la
cour, j’ignore qui ira, mais comme il faut plusieurs jours pour se rendre en
Normandie, ceux qui y assisteront partiront au plus tard lundi. En tout cas,
dimanche dernier, à la messe de Saint-Paul, j’ai aperçu Geoffroi Fils-Pierre,
le grand justicier, et Roger FitzRenfred, le gardien de la Tour.
— Tu connais un nommé Guillaume de La
Braye ?
— Oui, seigneur, c’est le
Weitere Kostenlose Bücher