L'or de Poséidon
son côté, mais qu’il ne pouvait pas aller contre ma volonté. Rubinia lui fit connaître un nouvel échantillon de son vocabulaire. Ensuite, Geminus m’aida à pousser un gros bloc de pierre contre le couvercle du sarcophage pour le maintenir en place. Néanmoins, Oronte pouvait toujours sortir la tête. Je me juchai alors sur un escabeau appuyé au mur d’en face, et mon père grimpa sans hésiter sur les genoux d’une déesse installée sur son trône.
Je gardais les yeux rivés sur Oronte qui nous avait causé tellement de problèmes. Il allait – je l’ignorais encore – nous en causer bien davantage.
Malgré sa calvitie et sa barbe démesurée, on devinait qu’il avait été beau. Il possédait encore l’autorité d’un philosophe grec. On l’imaginait aisément enveloppé dans une couverture et installé sous un portique, attirant les foules venues profiter des fruits de son esprit. Pourtant, en ce qui nous concernait, il n’avait encore rien trouvé à nous dire. Il fallait donc que je m’emploie à y remédier.
— Écoute ! commençai-je, en essayant de prendre un ton menaçant. Je n’ai pas eu le temps de dîner, je m’inquiète pour ma compagne, et même si ton modèle voluptueux est un régal pour les yeux, je n’ai pas l’intention de passer la nuit ici.
Le sculpteur retrouva enfin sa voix. Une voix profonde, rendue un peu voilée par la débauche et l’abus d’alcool.
— Va te faire foutre !
— Un peu de respect, ordure ! hurla mon père.
J’avais tenté de procéder avec décence, mais l’affaire s’engageait mal. Je tentai de poursuivre d’un ton posé :
— Donc tu es Oronte Mediolanus et tu es un fieffé menteur !
— Ne compte pas que je te dise quoi que ce soit.
En s’arc-boutant contre le fond du sarcophage, il parvint à glisser un genou sur le côté du couvercle qu’il tenta de faire glisser. Travailler la pierre lui avait donné du muscle, mais pas suffisamment.
— Tu te fatigues inutilement, Oronte. Essaie de te montrer raisonnable. Pense que je pourrais t’enfermer complètement dans ce lourd sarcophage et venir une fois par jour pour te demander si tu as changé d’avis. Ou bien, si je décide que tu n’en vaux pas la peine, je peux aussi ne jamais revenir. (Il cessa de se démener.) Mais commençons par le commencement : nous n’avons pas été présentés, dis-je comme si nous étions allongés sur des plaques de marbre dans des thermes élégants. Je m’appelle Didius Falco, et voici mon père Marcus Didius Favonius, aussi connu sous le nom de Geminus. Je pense que tu le remets ? Un autre membre de la famille s’appelait Didius Festus. Tu le connaissais aussi !
Rubinia émit un cri aigu. Difficile de deviner s’il était motivé par la panique ou la contrariété.
— Ça veut dire quoi, ce cri ? gronda mon père en l’observant avec un intérêt trouble. Hé, Marcus, tu ne crois pas que je devrais l’emmener dehors et lui poser quelques questions en privé ?
Le sous-entendu était évident.
— Attends encore un peu.
J’espérais qu’il jouait la comédie, sans en être vraiment certain. Ma mère avait toujours dit que c’était un « homme à femmes ». Ce que je pouvais constater, c’est qu’il ne laissait passer aucune occasion de s’amuser.
— Tu penses que c’est mieux de la laisser mariner encore un peu…
Je vis Geminus adresser un sourire diabolique à Oronte. Peut-être le sculpteur se souvenait-il de Festus et n’avait-il pas très envie de voir son éblouissante complice partir en compagnie d’un autre membre déchaîné de la famille Didius.
— Laissez-moi en dehors de tout ça ! brailla-t-elle.
Je descendis de mon escabeau et m’approchai de l’endroit où Rubinia était attachée. Ses beaux yeux, pleins de malignité, me transpercèrent.
— Mais tu es plongée là-dedans jusqu’au cou, ma jolie ! Dis-moi plutôt où tu as retrouvé Didius Festus, la nuit où je t’ai vue au cirque ?
Si elle n’avoua pas se souvenir de lui, elle ne put s’empêcher de sourire à l’évocation du nom de mon frère et de ce que je suggérais. Cela ne me menait pas très loin. Susciter une querelle entre le sculpteur et sa maîtresse après notre départ n’arrangerait pas vraiment nos affaires. Je me retournai vers Oronte.
— Festus a désespérément essayé de te retrouver, lors de sa dernière soirée passée à Rome. Ta copine l’a mené vers tes amis Manilus et Varga qui se
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