L'or de Poséidon
faut vraiment ?
— Oui. Ils doivent être convaincus de vous avoir roulés. Ils se sentiront alors faussement en sécurité. Ensuite, ils seront mûrs pour accepter ma proposition…
Alors, Helena, Geminus et moi, assis autour de la table, nous mîmes soigneusement au point le plan qui allait nous permettre de nous venger. Si nous ajoutâmes quelques raffinements, le plan initial était né dans le cerveau d’Helena.
— N’est-ce pas qu’elle est brillante ? m’exclamai-je en la serrant contre moi.
— Et en plus elle est superbe, acquiesça mon père. Si on réussit à les avoir de cette façon, j’espère que tu l’installeras dans un endroit plus digne d’elle.
— Il reste un petit détail à régler : trouver la statue !
Nous étions plus près de la trouver que nous ne l’imaginions, mais il fallut une tragédie pour nous mettre sur la bonne voie.
Ce fut un après-midi agréable. Nous avions comploté en riant et nous étions mutuellement félicités de notre astuce. Nous étions certains de pouvoir prendre Carus et Servia à leur propre jeu. J’avais fini par céder pour le vin. J’en avais versé dans les gobelets afin de célébrer notre future victoire. Pour l’accompagner, nous avions des poires d’hiver que nous mangeâmes en riant parce que le jus nous coulait sur le menton et les poignets. Helena ayant pris un fruit abîmé, mon père attrapa un couteau pour retirer la partie endommagée. Le voir tenir le fruit dans une main puissante et manier le couteau de l’autre me ramena soudain vingt-cinq ans en arrière, autour d’une autre table entourée de gamins qui attendaient que leurs pères aient pelé leurs fruits.
Je n’avais toujours pas compris ce que nous avions fait pour l’éloigner de nous. Sans doute ne le saurais-je jamais. Il n’avait jamais voulu s’expliquer – ce qui pour moi était le pire. Mais peut-être s’en sentait-il incapable ?
Helena posa délicatement sa main sur ma joue, ses yeux paraissaient comprendre ce que je ressentais.
Mon père lui offrit la poire coupée en morceaux et lui en mit un dans la bouche, comme à une petite fille.
— Personne n’est plus habile que lui avec un couteau ! m’exclamai-je.
Et nous nous mîmes à rire de plus belle, en nous remémorant la séance avec les peintres.
Oui, ce fut un après-midi agréable, mais il ne faudrait jamais se détendre à ce point. Le rire est la première étape sur la route de la trahison.
Après le départ de Geminus, notre petite vie reprit son cours normal.
Ayant l’intention d’allumer une lampe, je voulus couper le bout brûlé de la mèche et cherchai le couteau. Il n’était plus là. Geminus devait l’avoir empoché machinalement.
Je me souvins alors de celui dont on s’était servi pour poignarder Censorinus. Et je compris soudain comment l’un des couteaux de ma mère était arrivé à la caupona. Je savais pourquoi cette femme, d’ordinaire si soigneuse, avait perdu un de ses outils de cuisine. Je comprenais également pourquoi elle s’était montrée si évasive quand Petronius Longus l’avait interrogée – et pourquoi elle n’avait pas témoigné du moindre intérêt quand Helena Justina interrogeait les autres membres de la famille. Ma mère savait pertinemment où était passé ce couteau, une vingtaine d’années auparavant. Sa découverte avait dû la plonger dans un terrible dilemme : elle souhaitait me protéger, tout en sachant que la vérité n’épargnerait pas la famille. Elle avait très probablement mis elle-même ce couteau dans le panier contenant le déjeuner de mon père le jour où il avait quitté la maison. Ou alors il l’avait empoché machinalement, comme le mien aujourd’hui.
Quoi qu’il en soit, mon père avait été en possession de l’arme du crime.
Ce qui signifiait que le principal suspect dans le meurtre de Censorinus était maintenant Didius Geminus.
59
Il s’agissait d’une idée folle. C’est toujours celle qui vous paraît le plus vraisemblable quand elle vous traverse l’esprit.
C’était quelque chose que je ne pouvais pas confier à Helena. Aussi, pour éviter qu’elle puisse lire sur mon visage, je sortis sur le balcon. Il y a un tout petit moment, il se trouvait encore là à rire avec nous, plus amical que je ne l’avais jamais connu. Et tout de suite après, ce fait nouveau venait de jeter un affreux trouble dans mon esprit.
Il aurait pu perdre ce couteau, ou même l’avoir jeté, il y
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